Éducation sexuelle

YouTube, sexe et éducation

Ils jasent beauté, cuisine, jeux vidéo et pourquoi pas… sexualité. De plus en plus de youtubeurs brisent les tabous et, entre une recette, un tutoriel ou un défi, discutent masturbation, orgasme, ou transsexualité. Avec tout le naturel, la spontanéité et l’authenticité qu’on leur connaît. Portrait d’une tendance « confidence » 2.0.

Un dossier de Silvia Galipeau

Éducation sexuelle

Cours de sexo 2.0

Le mois dernier, Camille Ingels-Fortier, alias Cam Grande Brune, a invité une sexologue sur sa chaîne YouTube. Pendant pas moins de 35 minutes, cette dernière a pris le temps d’expliquer son métier et de répondre aux questions des abonnés : les douleurs pendant les relations sexuelles, les troubles érectiles, « c’est quoi ça », et surtout, « qu’est-ce qu’on fait avec ça ».

Ce n’est pas la première fois que la youtubeuse de 28 ans, originaire de Saint-Georges de Beauce, aborde, entre une vidéo de mascara ou une recette de macaroni, des questions un poil plus taboues. Elle a d’ailleurs créé une série « à huis clos » pour parler d’orgasmes au féminin, invité Jessie Nadeau d’Occupation double pour aborder la question de la pansexualité, de même que la youtubeuse Gabrielle Marion (voir plus bas) pour faire un cours de « transsexualité 101 ».

« Moi, [la sexualité], c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup. Je trouve que c’est important d’en parler, surtout depuis qu’il n’y a plus de cours d’éducation sexuelle dans les écoles. Ça, je trouve que c’est assez horrifiant. »

— Camille Ingels-Fortier, 28 ans

La jeune femme, qui a suivi des cours de sexologie à l’UQAM, fait aussi des capsules de type « conseils de grande sœur » pour les préados sur la chaîne YouTube de TFO (Flip), où elle aborde en toute franchise différents sujets qui l’animent : le premier baiser, les sextos, la première fois.

Elle n’est pas la seule Québécoise à tranquillement exploiter ce créneau. La jeune Noémie Lacerte a elle aussi publié une vidéo il y a un an sur des « sujets tabous », laquelle a été vue plus de 100 000 fois.

« Je trouve que c’est important d’en parler [de sexualité]. Étant jeune, je sais qu’il y a plein de tabous… »

— Noémie Lacerte, 21 ans

La preuve ? Elle reçoit quotidiennement des questions de ses abonnés sur toutes sortes de thèmes entourant la sexualité : la première fois, le nombre de partenaires sexuels, etc. « Je ne suis pas une experte, je l’ai toujours dit, ce sont des conseils qui viennent de moi. Je ne fais pas énormément de recherches, mais je fais énormément attention à ce que je dis », dit celle qui croit qu’il est ici de son devoir de dédramatiser, en nuances et avec toute l’ouverture d’esprit qui s’impose.

D’ailleurs, elle ne le cache pas : plus jeune, elle n’aurait pas détesté entendre ce genre de témoignages, histoire de « connecter » et surtout de « déstresser ».

Si Noémie Lacerte ne fait pas une spécialité de ces questions, la transsexuelle Gabrielle Marion, quant à elle, a modifié sa chaîne YouTube en 2016, pour se consacrer quasi exclusivement aux sujets trans : de sa propre transition à son obsession pour la minceur, en passant par ses chirurgies, sa voix, etc.

En entrevue l’automne dernier à La Presse, la youtubeuse trans nous avait confié que plus jeune, elle aurait aimé avoir accès à ce genre de témoignages.

« J’aurais aimé qu’on me dise tout ça. Un trans, je n’ai pas su que ça existait avant d’avoir 18 ans ! »

— Gabrielle Marion, 25 ans

Combler un manque

C’est l’Américaine Laci Green qui a été l’une des premières à se consacrer à l’éducation sexuelle sur YouTube. La jeune femme de 28 ans, extrêmement populaire avec plus de 1 million d’abonnés (nommée en 2016 parmi les 30 personnes les plus influentes de l’internet par le magazine Time), a commencé à s’intéresser à la question pour répondre à ses propres interrogations. Élevée dans une communauté mormone, elle ne se souvient pas avoir reçu la moindre éducation sexuelle à l’école. Aujourd’hui, elle dit aussi que les deux tiers de ses abonnés (en grande majorité des jeunes femmes) n’ont pas reçu d’éducation sexuelle scolaire non plus, ou du moins pas trouvé les réponses à leurs questions.

Armée d’un diplôme en éducation de Berkeley, elle parle donc de tous les sujets possibles : de la sexualité pendant les règles aux questions de consentement, en passant par le sexe chez les handicapés ou l’hygiène du vagin, rien n’est tabou, tout est exploré, sans fausse gêne, mais toujours dans la bonne humeur.

En Angleterre, la youtubeuse Hannah Witton fait exactement dans le même registre, avec la même légèreté, qu’elle parle de masturbation, de jouets sexuels ou de coupe menstruelle. L’humour est toujours au rendez-vous. En entrevue dans le Guardian, la jeune femme de 26 ans (qui ne cache pas s’être inspirée de Laci Green) a également expliqué avoir lancé sa chaîne pour combler un manque, faute d’avoir reçu l’éducation voulue à l’école. « Je voulais créer du contenu pour les jeunes femmes, a dit l’auteure de Doing It : Let’s Talk About Sex. Personnellement, je n’ai pas reçu grande éducation sexuelle à l’école. » Manifestement, elle et ses 430 000 abonnés se sont rattrapés depuis.

Cam Grande Brune

Camille Ingels-Fortier

28 ans

54 000 abonnés

Sur YouTube depuis 2012

Noémie Lacerte

21 ans

130 000 abonnés

Sur YouTube depuis 2012

Gabrielle Marion

25 ans

57 000 abonnés

Sur YouTube depuis 2007

Éducation sexuelle

L’avis des experts

Au Québec, on attend le retour des cours d’éducation sexuelle à la rentrée de septembre. D’ici là, faut-il voir d’un bon œil la place qu’ont pris de facto plusieurs youtubeurs, d’ici comme d’ailleurs ?

D’un côté, la sexologue Sylvie Lavallée se méfie des commentaires essentiellement « anecdotiques » ici véhiculés. « C’est beaucoup leur vécu. Le danger, c’est qu’ils n’ont pas la science infuse », craint-elle.

De là à lever le nez sur ce que YouTube a à offrir, il y a un pas que refuse de franchir Florence Valiquette-Savoie, une jeune sexologue qui réalise elle-même des capsules d’éducation sexuelle (SexURL, voir quatrième onglet). Cette dernière croit au contraire qu’on assiste ici à « une démocratisation de l’éducation sexuelle et de la sexualité. Ça amène à lever le tabou », se félicite-t-elle. Et même si certains insistent davantage sur leurs expériences personnelles, elle n’y voit rien de mal. Au contraire.

« C’est super positif de parler de ses histoires, dit-elle. C’est intéressant parce que ça permet aux jeunes de se reconnaître. Ça permet d’ouvrir une discussion. »

Se reconnaître, et en prime se sentir « normal », renchérit Marion Bertrand-Huot, coprésidente du magazine sexologique Les 3 Sex*, qui se consacre à la santé sexuelle.

« [Les youtubeurs] ont un contact privilégié et réussissent à dire : “Ce que tu vis, moi aussi, je l’ai vécu, c’est normal” […] Se sentir normal, c’est tellement important. »

— Marion Bertrand-Huot

Tous les sexologues interrogés font toutefois la même mise en garde : une fois qu’une information est reçue, encore faut-il oser aller plus loin, remettre en question, critiquer, vérifier. Comme avec l’internet en général, et YouTube en particulier, certaines fausses informations peuvent être ici véhiculées. « Parler et éveiller une conversation, c’est ça qu’il faut, poursuit la coprésidente. Ça reste plus positif que négatif. »

Au bout du compte, conclut Gabrielle Madé, directrice du studio Le Slingshot, l’agence de plusieurs youtubeurs, en matière d’éducation sexuelle, les jeunes ont deux besoins : besoin d’une éducation scolaire, offerte par des professionnels formés ; et besoin de s’identifier, connecter, potiner. Bref, de « parler entre copines, avec des gens aussi maladroits que soi ». Un besoin que ces youtubeurs permettent de toute évidence de combler.

Éducation sexuelle

Pour aller plus loin

Trois ressources complémentaires, réalisées par des professionnels, à (re)découvrir.

Tel-Jeunes le site

Bien plus qu’un site web d’information, Tel-Jeunes offre aussi des réponses par téléphone, en ligne, par texto ou par courriel, formulées par des intervenants professionnels. La section « sexualité » est très garnie : sexto, consentement, porno, tout y est, sous forme de capsules à lire ou à écouter. C’est clair, précis et éclairant.

SexURL les capsules

C’est à la fois un site, un compte Instagram et une chaîne YouTube, qui propose des capsules vidéo sur tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité. Deux jeunes sexologues québécoises dialoguent de poils, de contraception  ou d’excitation, sur un ton enjoué et surtout décomplexé. Les capsules ne dépassent jamais les cinq minutes, sont toujours très dynamiques et archipédagogiques.

Loov l’appli

À la fois un livre et une application (pour les 9-14 ans), Loov est un outil d’éducation à la sexualité. L’approche est ici immersive. On vise à accompagner le jeune dans son développement et son questionnement, en abordant toutes sortes de questions : le corps qui change, l’amitié, le respect et l’estime de soi, dans des rubriques interactives et ludiques, conçues par des professionnels.

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