Chronique

Les leçons du plus aimé des PDG américains

Fasciné tout autant qu’intrigué, je n’avais pu faire autrement que de suivre l’histoire – survenue l’été dernier – du congédiement d’Arthur T. Demoulas, PDG de la chaîne de supermarchés Market Basket, de la Nouvelle-Angleterre. Une décision qui a généré un mouvement de mobilisation jamais vu dans l’histoire des entreprises américaine alors que les employés du groupe d’épiceries et ses clients ont exigé et obtenu le retour de leur PDG bien-aimé.

C’était le 23 juin 2014. Après avoir dirigé durant 11 ans la chaîne familiale de 71 supermarchés Market Basket, Arthur T. Demoulas s’est fait montrer la porte par le conseil d’administration de l’entreprise, contrôlé par la famille de son cousin Arthur S. Demoulas.

La famille d’Arthur S. contrôlait 50,5 % des actions du groupe contre 49,5 % pour la famille de celui que l’on surnomme Artie T. Les deux groupes étaient en opposition depuis des décennies sur la façon de gérer l’entreprise familiale.

Le départ forcé d’Artie T. a toutefois suscité une réaction jamais vue alors que les 25 000 employés non syndiqués de Market Basket, qui est présente essentiellement dans le Massachusetts, le Maine et le New Hampshire, se sont spontanément mobilisés pour exiger le retour de leur PDG.

En l’espace d’un mois, les employés ont organisé quatre manifestations, chacune attirant plus de monde que la précédente, pour que le tout culmine à la fin de juillet 2014 par un rassemblement de 25 000 personnes dans la ville de Tewksbury, au Massachusetts.

Début juillet, les employés d’entrepôt et les camionneurs du groupe ont cessé d’alimenter la chaîne de commerces, les étalages ont cessé d’être remplis par les employés des magasins, et les allées de ces derniers ont été subitement désertées par les clients de Market Basket qui se sont massivement rangés derrière les employés en colère.

C’est qu’Artie T. Demoulas, 58 ans, était un PDG empathique, aimé et respecté de ses employés, qui n’ont pas hésité à mettre leur emploi en péril en s’opposant ouvertement à son départ.

DES EMPLOYÉS HEUREUX ET LOYAUX

La chaîne de supermarchés Market Basket a débuté modestement, en 1917, par l’ouverture d’un premier magasin dans la ville de Lowell, au Massachusetts, le lieu de naissance, cinq ans plus tard, de l’écrivain franco-américain Jack Kerouac.

Chez Market Basket, qui réalisait l’an dernier des revenus de 4,3 milliards US, tous les employés, même ceux, nombreux, à temps partiel, avaient droit à des bonis à Noël et à une participation aux profits. Une caissière débutante gagnait 12 $ l’heure, soit 4 $ de plus que le salaire minimum de 8 $ l’heure au Massachusetts.

Lorsque des employés ou des proches de ceux-ci tombaient malades, Artie T. s’occupait lui-même de régler les frais médicaux, telle la chimiothérapie.

Lorsqu’un travailleur était éprouvé par le deuil, la plupart du temps, Artie T. prenait la peine de rendre visite personnellement à la famille éplorée.

Plusieurs des employés seniors de l’entreprise ont commencé leur carrière comme emballeurs pour grimper au fil des ans dans la hiérarchie du groupe. La majorité des directeurs de magasin pouvaient gagner jusqu’à 140 000 $US par an.

Selon une étude de cas que vient de réaliser la Sloan School of Management du Massachusetts Institute of Technology, le fait d’être bien traité a soudé une loyauté inégalée dans le secteur très concurrentiel du commerce de détail, et cette loyauté s’est transmise à la clientèle, observent les chercheurs de cette grande école de gestion.

UNE ANNÉE RECORD

La saga de la mobilisation autour du PDG de Market Basket a pris fin en août 2014 lorsque le conseil d’administration a accepté de vendre la participation majoritaire du cousin Arthur S. à la famille d’Artie T. pour la somme de 1,6 milliard US.

Artie T. a donc repris en août dernier la direction du groupe, et tous les employés se sont remis à l’ouvrage avec des résultats étonnants. L’agence de presse financière Bloomberg a fait le bilan de la dernière année de ce groupe au PDG empathique.

Market Basket est en voie de réaliser la meilleure année de son histoire de 98 ans alors qu’elle prévoit réaliser des ventes records de 4,8 milliards US même si ses prix ont été de 16 % inférieurs à ceux de la compétition pour les six premiers mois de 2015.

En dépit de ses prix très concurrentiels, Market Basket a été en mesure cette année de distribuer 129 millions US en partage de profits à ses employés.

Le groupe a ouvert cinq nouveaux magasins et prépare l’ajout de trois nouveaux sites d’ici la fin de l’année.

Artie T. ne donne pas d’entrevue. L’entrepreneur a toutefois résumé sa recette du succès dans un courriel envoyé à un reporter de l’agence Bloomberg.

« Notre modèle d’affaires est très simple. On respecte le monde », a répondu sobrement Artie T.

Un message qui a été bien entendu par certains politiciens, comme Hillary Clinton qui a rendu, il y a trois semaines, un hommage à Market Basket durant un discours prononcé dans le New Hampshire.

La candidate à l’investiture du Parti démocrate a annoncé qu’elle entendait offrir un crédit d’impôt aux entreprises qui pratiquent le partage des profits avec leurs employés, comme le fait si bien Artie T.

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