Chronique

Ceci n’est pas une taxe

Le ministre Robert Poëti a fait part à voix haute du fruit de réflexions qu’il aurait dû garder pour lui. Encore une fois.

Après le monorail vers Anjou, les limites de vitesse variables sur les autoroutes et le prix gonflé de Turcot, voilà que le ministre en rajoute en s’empêtrant dans un autre dossier qu’il peine à maîtriser. Celui de la « captation », qu’il présente comme une autre taxation.

L’erreur semble assez mineure. Mais cette confusion pourrait faire de Robert Poëti le ministre fossoyeur des Transports. Car elle a le potentiel de faire avorter bon nombre de projets de transports en commun actuellement à l’étude…

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« Captation de la plus-value foncière. » Le nom est horrible, et son rôle, assez complexe.

En un mot, il s’agit d’un mécanisme fiscal qui permet d’accélérer l’implantation de gros projets de transports en commun.

La prémisse : la construction d’une gare entraîne une hausse de la valeur des terrains environnants. Cela enrichit les propriétaires fonciers. Il est donc normal de demander à ces mêmes propriétaires de contribuer au financement d’une gare qui leur rapportera de juteux profits.

Prenons un cas (presque) fictif. La Caisse de dépôt décide de construire le terminus d’un train léger à Brossard, à l’intersection des autoroutes 10 et 30. Les terrains appartiennent à une entreprise privée, appelons-la Carbonlea.

Le jour où la Caisse en fait l’annonce, la valeur des terrains bondit de 100 à 500 millions de dollars. Cela réjouit Carbonlea qui, dans le contexte actuel, empoche l’entièreté du gain de 400 millions, sans même verser un sou… à condition, bien sûr, que la gare soit construite.

C’est là qu’entre en jeu la « captation ». Pour s’assurer que le projet aille vraiment de l’avant, on demande au promoteur de contribuer à son financement. Carbonlea accepterait ainsi de verser à la Caisse, à l’avance, une portion de 30 %, disons, de son gain anticipé de 400 millions.

Carbonlea en sort gagnante, car le projet verra le jour, de même qu’une bonne partie de ses profits. Et la Caisse en tire parti, car elle réduit le risque du projet, de même que sa facture.

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On ne parle donc pas d’une taxe imposée aux futurs propriétaires de condos de Brossard…

La captation est un concept qui peut prendre diverses formes : droits d’aménagement, développement conjoint, acquisitions foncières, taxe locale aussi. Mais le gouvernement serait suicidaire d’opter pour la taxation, la façon la plus impopulaire de « capter » la plus-value foncière.

Il aurait plutôt intérêt à miser sur la formule la plus usuelle : le financement par revenus anticipés. Comme je viens de l’expliquer. Comme le font de nombreuses villes – Londres, New York, Calgary. C’est ainsi que San Francisco a financé la gare Transbay, par exemple.

Est-ce que je joue avec les mots ? Est-ce que cette captation n’est rien de plus qu’une taxation à retardement ? Non. Les futurs acheteurs n’auront pas de surtaxe, de taxe locale ou de taux de taxe différent.

Ce qui risque d’arriver, plutôt, c’est que les condos coûteront un peu plus cher à l’achat. Ce qui est dans l’ordre des choses !

On accepte de payer plus cher pour une maison située sur le bord de l’eau. Ou pour un chalet juché sur une montagne qui offre une superbe vue. Et on ne crie pas à la « surtaxation » pour autant. On paye simplement plus cher à l’achat parce que la valeur de la propriété est plus élevée.

C’est la même chose avec les maisons situées à proximité des transports en commun. La valeur des propriétés de Montréal augmente de 13 % à moins de 500 m d’une station de métro, de 10 % à 1 km et de 5 % dans un rayon de 1,5 km. Même chose pour les gares de train de banlieue.

Il n’y a donc pas de surtaxation, pas même de « taxe Poëti », mais un possible surcoût. Que les contribuables peuvent éviter… en achetant quelques kilomètres plus loin.

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Malheureusement, le ministre Poëti a résumé la captation de façon grossière, en évoquant l’imposition d’une nouvelle taxe. Une façon bien curieuse de lancer le débat sur un mécanisme fiscal novateur qu’il faut absolument encadrer, mais dont on serait fou de se passer.

C’est cette maladresse qui a forcé le ministre à se rétracter, lundi soir, sur ordre du premier ministre. Un recul qui pourrait être coûteux si le gouvernement décidait, dans la foulée, de mettre une croix définitive sur la captation de la valeur foncière.

Il faut savoir que le SLR, le train de l’Ouest ainsi que les futurs prolongements de métro sont tous censés profiter de la captation, selon les scénarios à l’étude à la Caisse et à l’Agence métropolitaine de transport. Des projets qui pourraient bien ne pas voir le jour si on refuse de diversifier les sources de financement.

On attend donc avec impatience la conférence de presse du ministre, accompagné d’experts, où il confirmera la pertinence d’aller de l’avant avec la captation de la valeur foncière. Pas sa taxation.

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