La caravane du désespoir
Pour Donald Trump, ce sont des « envahisseurs » qui font peser une terrible menace sur les États-Unis.
Pour Sally O’Neill, ce sont des enfants, des adolescents, des mères et des grands-mères qui cherchent à survivre.
Établie au Honduras, Sally O’Neill œuvre notamment pour l’organisme Développement et Paix, qui mène plusieurs projets dans ce pays. Au fil des dernières semaines, la consultante a eu l’occasion de s’entretenir avec de nombreux migrants faisant partie de la « caravane » qui remonte actuellement le Mexique en direction des États-Unis.
Il y a parmi eux de jeunes adultes qui n’ont aucune chance de trouver un emploi dans leur pays, des paysans abattus par une succession de sécheresses et de tempêtes tropicales, des citadins et de petits commerçants qui fuient la violence de plus en plus omniprésente des gangs, énumère-t-elle.
« Des chauffeurs de taxi peuvent se faire extorquer jusqu’à 30 % de leurs revenus par des gangs », raconte Mme O’Neill, jointe au Honduras.
Avec un taux d’homicides frôlant 90 meurtres pour 100 000 habitants, le Honduras a la triste réputation d’être le pays le plus violent de la planète. Au fil des ans, la situation s’est détériorée. Alors que la police arrête de plus en plus d’adolescents travaillant pour des gangs, ces derniers ciblent des recrues de plus en plus jeunes : des gamins de 8 ans, parfois même de 6 ans.
Des fillettes de plus en plus jeunes se font aussi prendre dans les filets des réseaux de prostitution. Les familles préfèrent partir avant qu’il ne soit trop tard.
« Les gens partent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, ils le font par désespoir », résume Sally O’Neill. Et pour minimiser les risques et les coûts de ce voyage hyper dangereux, ils se rassemblent.
« Ça leur évite de devoir payer jusqu’à 6000 $ pour un coyote, c’est-à-dire un passeur », précise la consultante, selon qui les deux caravanes (un autre groupe a pris la route cette semaine) qui sont actuellement en chemin vers le nord rassemblent environ 10 000 personnes.
La menace ne vient pas uniquement des réseaux criminels, ajoute Mary Durran, qui chapeaute les projets de Développement et Paix au Honduras.
Chaque année, cette ONG forme entre 60 et 80 leaders communautaires dans ce pays. « Au cours des deux dernières années, quatre d’entre eux ont été assassinés. »
« Les gens qui essaient de s’organiser pour défendre leurs droits sont accusés pour des raisons bidon », ajoute-t-elle.
Les deux tiers des 9 millions de Honduriens vivent dans la pauvreté extrême. Plusieurs se sont fait confisquer leurs terres pour laisser place à des mégaprojets de développement.
Les changements climatiques contribuent à l’exode actuel, constatent les deux intervenantes. Le sud du Honduras est particulièrement vulnérable, note Mary Durran. Les sécheresses y sont de plus en plus fréquentes et durent de plus en plus longtemps. Les tempêtes ravagent les cultures de crevettes sur les côtes.
C’est tout ce « cocktail » de raisons qui pousse les Honduriens à entreprendre le périlleux voyage vers le nord, note Mary Durran, selon qui ces gens ne sont pas dangereux, seulement désespérés.
« Ils n’ont aucune chance d’avoir une vie digne. À leur place, nous ferions exactement la même chose qu’eux. »
Et s’ils se rassemblent, c’est parce que des dizaines d’autres ont disparu sur la route et n’ont plus jamais donné de nouvelles. Ce qui incite des mères et des grands-mères à organiser leurs propres « caravanes », dans l’espoir de retrouver des traces témoignant du sort de leurs enfants disparus.
Aux yeux de Mary Durran, en présentant l’actuelle « caravane » hondurienne comme un danger fonçant vers la frontière sud des États-Unis, et en annonçant le déploiement de 5000 militaires, Donald Trump se livre ni plus ni moins qu’à une « distorsion de la réalité, pour des raisons politiques ».