La vie avec ou sans Lou

Maple Leafs de Toronto

TORONTO — Il y a de ces choses qui mettent un certain temps à se faire accepter. À une certaine époque, c’était de voir un Hulk Hogan vilain habillé en noir, plutôt qu’en jaune et rouge.

Dans le hockey, il a fallu s’habituer à Lou Lamoriello dans le décor bleu des Maple Leafs, plutôt que dans le rouge et noir des Devils du New Jersey, l’équipe qu’il a dirigée pendant 28 ans.

Lamoriello menait l’équipe d’une poigne de fer au New Jersey. Directeur général et président, il travaillait avec un entourage limité, dont le principal élément était son propre fils, Chris, directeur général du club-école à Albany. Il imposait un silence radio à son personnel. « Il gère son équipe comme si c’était Providence College », a déjà lancé un observateur, mi-sérieux, faisant allusion au programme de hockey que dirigeait Lamoriello dans les années 70.

C’est cette image qu’avait de lui l’attaquant Joffrey Lupul.

« Je le voyais comme une figure d’autorité, comme un gars qui sermonnait toujours les joueurs ! a expliqué Lupul, porte-couleurs des Leafs depuis cinq ans. Mais il a été super, c’est un bon gars à qui parler. Il s’attend à ce qu’on travaille fort et qu’on soit professionnel, mais ce n’est pas seulement ça. On peut voir son énergie et sa passion. Il arrive souvent à l’aréna avant nous. J’espère trouver quelque chose dans la vie qui me passionnera aussi longtemps. »

« Je ne me souviens pas avoir eu un DG aussi actif que lui, ajoute l’attaquant Nazem Kadri, membre de l’organisation depuis 2009. Il est toujours ici, il dit bonjour à tout le monde. Il va prendre des nouvelles de ta famille, de ta vie personnelle. Il se soucie de nous en tant que personnes, pas seulement en tant que joueurs. »

DES FRICTIONS

Les joueurs le trouvent peut-être bien sympathique, mais ça ne veut pas dire que son arrivée s’est faite en douceur. Même si, sur la patinoire, l’équipe n’a que très peu changé depuis le 23 juillet, date de son embauche.

Deux mois après son entrée en poste, on apprenait que les descripteurs des matchs des Leafs n’étaient plus les bienvenus dans l’avion nolisé de l’équipe. Même une organisation aussi secrète que le Canadien permet aux diffuseurs de voyager à bord du même avion que les joueurs !

Les entraîneurs adjoints ne parlent pratiquement plus aux médias. L’assistant directeur général Kyle Dubas, une figure médiatique populaire la saison dernière, limite lui aussi le nombre d’entrevues, si ce n’est pour parler du club-école, dont il est le DG. Les collègues torontois notent d’ailleurs qu’il est nettement moins visible dans l’entourage des Leafs, cette saison.

L’individualité des joueurs est gommée autant que possible, au nom du collectif. Un exemple : à chaque match à domicile, les Leafs ont pris l’habitude de rendre hommage aux soldats des Forces armées canadiennes. Ce clin d’œil, baptisé « Lupe’s Troops » puisque Lupul en était le porte-parole, s’appelle désormais « Leafs Troops ».

Comme c’était le cas chez les Devils, la pilosité faciale n’est plus la bienvenue – en dehors de Movember –, même si la règle ne semble pas aussi stricte qu’au New Jersey. « Quand tu crois que ta barbe est trop longue, c’est qu’il est temps de la raser », a illustré Jonathan Bernier. Pierre-Alexandre Parenteau, lui, n’a plus les cheveux qui dépassent de son casque, comme c’était le cas l’an passé à Montréal.

Bref, les Leafs sont maintenant le modèle d’une organisation structurée et unifiée. Avant le changement de garde à la tête de l’équipe, on racontait que les joueurs en menaient large aux dépens d’entraîneurs qui se retrouvaient sans grand pouvoir. Cette équipe, doit-on le rappeler, a participé une seule fois aux séries au cours des 10 dernières saisons.

LA VIE SANS LOU

« Il est exactement ce dont Toronto avait besoin. La discipline, la structure, ils n’avaient pas ça. Ils l’ont maintenant, avec lui et Mike Babcock. »

Ces mots sont ceux de Ken Daneyko. L’ancien défenseur a évolué sous les ordres de Lamoriello pendant une quinzaine d’années, et il l’a ensuite côtoyé à titre d’analyste pour les matchs des Devils à la télévision. Il le connaît comme le fond de sa poche.

« Quand il est arrivé chez les Devils, on n’était pas bons sur la glace et on ne formait pas encore une très bonne organisation. On n’avait pas de discipline, pas de structure, pas de direction, sur la glace et hors glace.

« Il a innové, mais à l’époque, on se demandait ce qu’il faisait : des repas d’équipe, des nuits à l’hôtel pendant les séries même quand on était à domicile. On n’aimait pas toujours ce qu’il faisait, je ne vais pas embellir la réalité. On se sentait parfois traités comme des enfants d’école ! On ne comprenait peut-être pas le portrait d’ensemble au début, mais après quelques Coupes Stanley, tu comprends la logique derrière la folie. »

« Je l’aime comme un père. Mais je suis réaliste : toute bonne chose a une fin, le changement était inévitable et les Devils commençaient à plafonner. »

— Ken Daneyko, ancien joueur des Devils

Si la poigne de fer de Lamoriello était nécessaire à Toronto, on sent que le relâchement a fait du bien à un peu tout le monde chez les Devils. Ça se voit dans de menus détails. Le défenseur Éric Gélinas a pu retrouver son numéro 44, qu’il avait dû abandonner parce que les numéros supérieurs à 40 étaient proscrits.

« Les cheveux, la barbe, les numéros… On n’est pas obligés de porter la cravate quand on voyage, même si on porte un complet. Ça ne change pas grand-chose dans la vie, mais ce sont de petits détails », rappelait Gélinas, au cours d’une entrevue récente.

L’impact de son départ se ressent même dans le club-école, à Albany. Là aussi, des restrictions étaient en vigueur. Pas question, par exemple, d’interviewer sur la patinoire la première étoile d’un match. C’est maintenant possible.

On y raconte même qu’on demandait parfois à un joueur rappelé de sortir de l’aréna par l’arrière pour éviter que l’équipe adverse ne voie qu’il parte et n’adapte son plan de match en conséquence. « Il y avait un climat de méfiance », a résumé un membre de l’organisation des Devils d’Albany sous le couvert de l’anonymat.

« Je suis plus impliqué dans certaines décisions liées au personnel, dans les discussions qu’on a sur des joueurs, ajoute l’entraîneur-chef de l’équipe, Rick Kowalsky. Le travail des dépisteurs est plus transparent, que ce soit pour nos joueurs actuels ou futurs. »

Comme les Leafs, les Devils semblent toutefois sur la bonne voie. Ils sont au cœur de la course aux séries, même si plusieurs les voyaient comme une des pires équipes de la LNH sur papier. Comme The Hockey News le soulignait récemment, combien de directeurs généraux peuvent avoir un tel impact sur deux organisations en même temps ?

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