Chronique

Qui va nettoyer mon barbecue ?

On le sent, la bataille électorale va se faire au niveau du quotidien. Oui, cette campagne va s’accrocher à la barre de la porte de la cuisinière dans nos cuisines, là où au moins 82 % des Québécois accrochent le linge à vaisselle, ce qui est toujours modérément gossant quand on ouvre ladite porte pour vérifier l’état du rôti, vu que ledit linge à vaisselle frôle inévitablement le plancher, lequel est toujours un peu sale, vu que 100 % des familles québécoises n’ont plus le temps pour rien.

Même pu le temps de faire les lunchs, voyez-vous.

Et c’est pour ça que le Parti québécois ambitionne de nous faire gagner du temps en laissant aux écoles le soin de faire les lunchs de nos enfants : pour qu’on ait plus de temps.

C’est une de ses promesses, c’est même la première vraie promesse de parti qui fut faite dans cette campagne.

Le PQ a jadis promis la souveraineté et un programme d’assurance vieillesse, il a promis et livré un (formidable) programme de CPE et un (tout aussi formidable) programme d’assurance automobile…

Il promet désormais de faire les lunchs des écoliers à la place de leurs parents. Au moins, le chef du PQ n’a pas promis de faire les lunchs lui-même : mes sources m’indiquent qu’il est un peu démuni dans une cuisine…

Pas du tout en reste, le Parti libéral du Québec est celui qui veut faciliter la vie des Québécois, rien de moins, c’est même son slogan électoral.

Symbole fort de facilitation spatio-temporelle, le PLQ a ciblé le marché – sans cesse grandissant, sans cesse renouvelé – des parents séparés : il promet que s’il est réélu, chaque enfant pourra avoir deux cartes d’assurance maladie. Les parents non séparés – dont le couple a résisté à l’épreuve du temps et à la désérotisation mutuelle inhérente aux phrases de parents du genre « C’est TOI qui devais acheter les couches, taba***k » – ne peuvent pas comprendre l’épreuve dantesque qui consiste à appeler son ex un samedi soir pour lui demander où est la carte d’assurance maladie de la petite, qui fait une otite.

(Mon Dieu, je constate ici que je suis encore un peu rouillé de mes vacances : mes paragraphes, dans cette chronique, sont beaucoup trop longs, je promets d’y remédier bien avant les élections.)

Bref, le PLQ, qui a jadis proposé aux Québécois d’être maîtres chez eux, qui a jadis piloté la nationalisation de l’hydroélectricité et la construction de ces grands barrages qui ont créé de la richesse collective, veut désormais nous éviter les affres d’avoir à appeler nos ex pour leur demander si elles/ils peuvent apporter la carte-soleil de Sarah-Jade aux urgences de Sainte-Justine comme, genre, MAINTENANT.

Personnellement, j’ai hâte qu’un parti politique parle de ce qui bouffe vraiment du temps dans la vie, en tout cas dans la vie au printemps : je parle bien sûr de nettoyer son barbecue, après un long hiver… M. Legault, je vous écoute.

Je déconne, mais vous sentez bien que je ris jaune, vous sentez bien que je déprime un peu de voir que les premières promesses sont à un sondage de me proposer de venir coller l’étiquette portant le nom de mon enfant sur ses crayons de couleur, chacun de ses 48 crayons de couleur.

Je ris jaune, mais je ne ris pas des partis, les partis sont des experts dans l’art de sonder le cœur des électeurs et des électrices. Ils savent ce que nous voulons. S’ils nous font ces propositions, c’est bien sûr parce qu’ils savent qu’il y a un marché pour ce genre de promesse qui tient plus de l’aide ménagère que du projet de société.

J’ai dit que les partis savent ce que nous voulons. Peut-être que je suis dans le champ. Peut-être savent-ils ce que nous sommes ?

Alors on peut se désoler que les partis en soient rendus là, dans nos salons à tenir l’autre bout du divan pour nous aider à le changer de place – même combat en Ontario, remarquez, où le PM Doug Ford a notamment promis de ramener la belle époque de la canette de bière à 1 $, « buck a beer » – mais ce qui est désolant, ce n’est pas cette liste d’épicerie électorale, c’est plutôt la petitesse de nos attentes d’électeurs.

Il y a quelques idées dans cette campagne, remarquez. La proposition de Québec solidaire de doter chaque Québécois d’une assurance dentaire en est une, idée, en ce sens qu’elle transcende les dents elles-mêmes.

C’est l’idée qu’il y a de l’injustice sociale dans le fait que tellement de nos concitoyens se promènent avec des trous dans la yeule, avec tout ce que cela comporte d’indignité, de honte et d’incapacité à se trouver certains jobs : quand t’as pas de dents, ça scrappe un peu les possibilités d’avancement. Et l’idée de QS, ici, c’est que c’est un peu, beaucoup le job de l’État de corriger cette injustice-là. Pour emprunter un mot cher aux consultants, je trouve que c’est une idée structurante. En tout cas, j’ai plus envie d’en débattre que de débattre d’une deuxième carte-soleil par enfant de parents séparés, « enjeu » qui pourrait se régler par simple décret…

Et c’est une idée, les dents des Québécois, que les libéraux viennent de recycler en partie.

Après, on dira que Québec solidaire ne sert à rien.

GERTRUDE BOURDON — J’adore Gertrude Bourdon.

D’abord, son prénom : « Gertrude ». C’est irrésistible. On manque de « Gertrude » dans la vie publique.

Ensuite, Mme Bourdon est une gestionnaire de talent qui a aussi un talent, politiquement, pour la gaffe. Voici une dame qui a fait du PLQ « son » parti, dans le sens où le PLQ est « son » plus récent parti, ayant magasiné chez le PQ, à la CAQ, pour finalement acheter le PLQ, fort probablement pas sur des mensualités de 36 mois, non, Mme Bourdon me semble être du genre à payer cash en réclamant un rabais de 2 % équivalent à ce que le marchand devrait payer à VISA, si elle payait avec sa carte de crédit.

S’enfargeant dans ses versions invraisemblables, Mme Bourdon a vu ses déclarations publiques débusquées. Ce qu’elle a dit de ses discussions avec la CAQ était faux, archifaux.

Puis, s’étirant dans les manchettes à force de mensonges et de contradiction, la présence de Mme Bourdon chez les libéraux a forcé deux libérales – Mmes Saint-Pierre et Rizqy – à tomber dans l’humour de théâtre d’été pour la défendre : en diffusant ses échanges de textos avec la vedette libérale, François Legault, nous ont-elles dit, a commis un geste sexiste… parce que Mme Bourdon est une femme !

Je cherche la logique dans ce raisonnement. Peut-être que je vais comprendre d’ici au 1er octobre.

Mais l’évidence est là : Gertrude Bourdon n’a pas encore eu à expliquer pourquoi un CHSLD sert un souper de Kraft Dinner à la sauce brune ni pourquoi quelqu’un est mort d’avoir attendu l’ambulance une demi-heure après un infarctus que, déjà, elle se mêle dans ses versions. Je n’ai pas de doutes quant à ses talents de gestionnaire hospitalière, mais elle a des croûtes à manger en matière de gestion de la – restons charitables – vérité.

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