Observer l’intégrisme

À l’heure où la lutte contre l’intégrisme est un thème récurrent des débats politiques, des chercheurs annonçaient mardi la création d’un Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent. Le lendemain, le Parti québécois déposait un projet de loi proposant la création d’un poste d’observateur de l’intégrisme religieux.

On aurait pu croire à une opération de court-circuitage entre « observatoire » et « observateur ». Il n’en est rien. « Le timing peut sembler assez opportun. Mais la majorité des chercheurs travaillaient sur ces questions de radicalisation depuis longtemps », me dit David Morin, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et codirecteur du nouvel Observatoire. « C’est une idée qui nous trottait dans la tête indépendamment du projet de loi. On n’a cherché à court-circuiter personne. »

L’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent est une entité qui se veut indépendante et non partisane. En regroupant le savoir de plusieurs chercheurs, il s’est donné comme mandat d’observer, de documenter et de comprendre les phénomènes de radicalisation et d’extrémisme violent au Québec et au Canada. Il vise une réflexion éclairée, qui s’inscrit dans une logique de prévention et de paix sociale. Il pourrait s’intéresser autant à une secte comme Lev Tahor qu’à des mouvements d’extrême droite ou des gangs de rue. Il pourrait faire des recherches sur le fondamentalisme islamique, mais aussi sur les groupes extrémistes qui se nourrissent du discours islamophobe. « On pourra voir, par exemple, comment le discours sur le radicalisme islamique peut entraîner d’autres formes de radicalisme », explique David Morin.

L’intégrisme religieux n’est qu’une des formes de radicalisation qui existent. « La dimension religieuse n’est pas forcément celle qui produit le plus d’actions violentes », rappelle le chercheur.

« Il ne faut pas exagérer le risque. Il ne s’agit pas non plus de minimiser ce qui se passe actuellement avec la radicalisation religieuse, mais bien de relativiser. »

De façon posée et éclairée, faits à l’appui, l’Observatoire entend contribuer au débat public, éviter les nombreux raccourcis et amalgames qui le minent trop souvent et miser sur la prévention.

Voilà donc pour le noble mandat de l’Observatoire. Qu’en est-il de « l’observateur » de l’intégrisme religieux dont il est question dans le projet de loi d’Agnès Maltais ? Est-il nécessaire d’avoir un observateur si l’on a déjà un observatoire ? En quoi l’un se distingue-t-il de l’autre ?

À première vue, le mandat de l’observateur est plus restreint, car il se concentrerait exclusivement sur l’intégrisme religieux plutôt que sur d’autres formes de radicalisme plus susceptibles encore de mener à des actes violents. 

L’observateur aurait comme mandat de définir et de documenter les manifestations de l’intégrisme religieux au Québec dans le but de prévenir la radicalisation.

« C’est très différent d’un groupe de chercheurs », me dit Agnès Maltais, précisant qu’elle a appris l’existence de l’Observatoire sur la radicalisation en regardant la télé, après qu’elle eut rédigé son projet de loi. Très différent en quel sens ? L’observateur relèverait de l’Assemblée nationale. Son mandat ressemblerait à celui du Protecteur du citoyen. Il pourra rédiger des rapports et faire des recommandations aux parlementaires. Il aura aussi un pouvoir d’enquête que n’a pas l’Observatoire.

Cela dit, les rôles de chacune des entités pourraient être complémentaires. L’observateur pourrait faire appel à l’Observatoire pour mener certaines recherches. Il permettrait aux élus d’avoir un portrait clair des enjeux liés à l’intégrisme religieux tel que défini par la commission Bouchard-Taylor. Rappel de la définition : « Version particulièrement stricte et rigide d’une religion, en vertu de laquelle celle-ci acquiert une préséance absolue sur les autres considérations sociales, politiques, scientifiques, etc. S’accompagne ordinairement d’une interprétation littérale et monolithique des textes sacrés qui conduit à rejeter toute évolution. »

Cela dit, il faut rappeler qu’un État laïque qui se mettrait en tête d’abolir la pensée intégriste irait à contresens de la laïcité. Car un État laïque, en principe, est neutre devant toutes les religions. Il ne s’intéresse pas aux dogmes des uns et des autres et ne cherche pas à y faire le ménage. Sauf, bien sûr, si la paix sociale est troublée, si les droits de citoyens sont brimés ou si des enfants ne reçoivent pas l’éducation laïque qu’ils sont en droit de recevoir.

Que l’on ait un Observatoire ou un observateur, l’essentiel est de cesser de tergiverser sur ces questions et de trouver un équilibre entre ceux qui voudraient intervenir partout et ceux qui ne veulent intervenir nulle part. Par son inaction, le gouvernement Couillard laisse malheureusement ce dossier pourrir, lui qui avait pourtant promis d’agir très vite. Beaucoup de matière pour un futur Observatoire du déni et des promesses brisées…

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