Rapatriement d’enfants canadiens de parents djihadistes en Syrie

« C’est inacceptable que le gouvernement ne bouge pas »

Ottawa doit rapatrier une fois pour toutes les enfants nés de parents canadiens partis rejoindre le groupe armé État islamique en Syrie, demandent à nouveau familles, avocat et politiciens.

« Ces enfants-là n’ont rien choisi. Ces enfants-là n’ont pas décidé d’aller se battre. Ces enfants-là ne sont pas responsables des décisions prises par leurs parents. C’est inacceptable que le gouvernement canadien ne bouge pas. On parle d’enfants, de très jeunes enfants dans certains cas », a martelé l’avocat spécialisé en immigration Stéphane Handfield, lundi matin en conférence de presse à Montréal.

MHandfield a pris la parole en compagnie du chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, et de la tante canadienne d’une fillette de 2 ans coincée dans un camp de détention contrôlé par les forces kurdes dans le nord de la Syrie.

Le groupe souhaite profiter de la parution du documentaire Les poussières de Daech, diffusé récemment à Télé-Québec, dans lequel Leïla, sœur du Sherbrookois Youssef Sakhir, parti en 2014 vers le djihad, retrouve sa nièce au camp d’Al-Hol, en Syrie.

« C’est faux de prétendre que c’est trop difficile de se rendre dans les camps. On a des gens qui se sont présentés sans ressources, sans protection, afin de faire un documentaire. Ils se sont rendus dans les camps et ils ont eu accès aux familles. »

— MStéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration

Enjeu de sécurité

Maintes fois interpellé au cours des dernières années sur le sort des enfants nés de parents canadiens partis gonfler les rangs du groupe État islamique (EI), le gouvernement de Justin Trudeau a toujours répondu la chose suivante : la Syrie est un endroit où Ottawa n’a pas de diplomates ni de représentation. Il est trop dangereux pour ses fonctionnaires de se rendre dans cette région du monde.

Lundi, l’attachée de presse du ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a indiqué que son gouvernement est « particulièrement préoccupé par les cas des enfants canadiens en Syrie ».

« Compte tenu de la situation sécuritaire sur le terrain, la capacité du gouvernement du Canada à fournir une aide consulaire dans l’ensemble de la Syrie est extrêmement limitée. Nous avons communiqué avec les responsables kurdes syriens pour obtenir des renseignements sur les Canadiens sous leur garde. Nous continuons de suivre la situation de très près », a fait savoir Syrine Khoury dans un courriel envoyé à La Presse.

Après avoir fait l’aller-retour sans trop d’embûches, Leïla dit ne rien comprendre de la position d’Ottawa. « C’est possible d’y aller, dit-elle. On ne comprend pas. On doit les ramener. » Elle poursuit : « Tous les officiels [là-bas] qu’on a rencontrés ont été très clairs que si le gouvernement canadien venait, c’est sûr que tous les accès seraient ouverts. »

La femme n’a pas pu ramener sa nièce au pays. Elle n’est pas officiellement reconnue comme canadienne. Son père, Youssef, est mort. Leïla a tenté de faire signer des documents juridiques à la mère, mais les forces kurdes s’y sont opposées, indiquant vouloir faire affaire directement avec les autorités canadiennes. « J’ai des nouvelles. Elle va comme elle peut dans les conditions où elle est. Des conditions de malnutrition avec de nombreux déficits au niveau du développement. ».

Selon un rapport publié cet été par l’organisme international Human Rights Watch, 47 Canadiens, dont 26 enfants, sont actuellement détenus dans des conditions « inhumaines » en Syrie en tant qu’anciens membres de l’EI.

L’organisme accuse le Canada d’avoir carrément abandonné les siens à cause de leurs liens présumés avec l’EI, bafouant ses obligations internationales en matière de droits de la personne, ne soutenant pas les familles des détenus, « refusant illégalement l’octroi d’une aide consulaire » et ne prenant pas les mesures nécessaires pour aider ses ressortissants, « victimes de graves abus, de torture et de traitements inhumains et dégradants ».

De nombreux États occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont ramené chez eux des citoyens, dont beaucoup d’enfants, dans les dernières années.

L’opposition unanime

Il y a, sur la question du rapatriement des enfants, consensus au sein des partis de l’opposition à Ottawa.

En point de presse, Alexandre Boulerice a indiqué que son parti avait envoyé sept lettres officielles au gouvernement du Canada sur cet enjeu. « On reçoit comme réponse seulement des banalités. On se réfugie derrière des considérations de sécurité qui, on le voit très bien, ne tiennent pas la route du tout. »

« Pour des préoccupations humanitaires de base, on doit demander au gouvernement d’agir. Il y a une urgence humanitaire dans les camps. Il devrait y avoir ici un sentiment d’urgence politique.  »

— Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique

Le Parti conservateur envoie un message semblable. « Nous devons avoir de la compassion pour les jeunes enfants canadiens de terroristes détenus à l’étranger, qui, sans avoir commis aucune faute, sont bloqués dans des camps », dit le critique en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, dans une déclaration écrite envoyée à La Presse. « Le gouvernement libéral doit prendre des mesures pour rapatrier ces jeunes enfants canadiens, tout en veillant à ce que tous les terroristes de l’État islamique qui ont pris les armes contre le Canada et nos alliés et qui reviennent au pays soient poursuivis dans toute la mesure de la loi. »

Le Bloc québécois admet toute la complexité d’un éventuel rapatriement. « C’est un dossier qui suscite plusieurs questions. Je sais qu’il y a des considérations sécuritaires, mais le gouvernement ne peut pas détourner les yeux et faire comme s’il ne se passait rien », dit le député Stéphane Bergeron, lui aussi critique aux affaires étrangères. « Les enfants sont sur place et ils ont besoin d’aide. […] Ils ne sont pas responsables des actes de leurs parents. » M. Bergeron appelle Ottawa à faire preuve d’imagination pour trouver une solution rapide. Il suggère par exemple de faire appel à des ONG sur place en guise d’intermédiaires.

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