Gideon Arthurs, DG de l’École nationale de théâtre

Le grand défi d’attirer une nouvelle clientèle

La Presse donne la parole aux grands dirigeants du Québec. Chaque vendredi, un patron répond à cinq questions posées par le chef d’entreprise interviewé la semaine précédente. Gideon Arthurs, directeur général de l’École nationale de théâtre, répond aujourd’hui aux questions de Pierre Rivard, président-directeur général du Groupe St-Hubert. Il s'agit de la dernière entrevue avant la relâche estivale.

Vous qui avez longtemps vécu en Ontario, expliquez-nous comment est perçue la scène culturelle québécoise, et plus spécifiquement montréalaise, dans le reste du Canada.

Avec beaucoup de jalousie ! Vraiment, partout au pays, le milieu d’ici est vu comme très sophistiqué, très avancé, avec un langage visuel plus évolué que ce que l’on voit dans le reste du Canada. Il y a de la jalousie par rapport au soutien du gouvernement et de la Ville aussi, d’autres conseils des arts ont beaucoup moins d’argent que le CALQ [Conseil des arts et des lettres du Québec]. Il y a un lien au Québec entre la culture, l’identité et la langue qu’on ne voit pas à Toronto ou à Calgary. Il y a une dramaturgie qui vient d’ici, qui parle de l’identité québécoise. C’est étonnant pour moi de voir qu’il y a toutes sortes de personnes au théâtre chaque soir, qu’il y a un intérêt, un débat autour du rôle de l’artiste dans la société.

Les cinémas rivalisent d’ingéniosité pour attirer les consommateurs (3D, IMAX, DBox, Ultra AVX…). Selon vous, de quelle façon cette tendance se transpose-t-elle au théâtre ?

C’est nécessaire de s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres industries culturelles. Il y a des enjeux majeurs pour le théâtre en ce moment. Il y a un énorme changement démographique au pays, ce qui veut dire qu’il y a toute une population qui n’a pas eu de contact avec le théâtre occidental et qui n’a pas nécessairement des traditions que l’on reconnaît aussi bien. Il y a beaucoup de travail à faire pour aller chercher de nouveaux publics, créer un théâtre qui est beaucoup plus inclusif, ouvert et représentatif de la population. Comment y arriver ? C’est un grand débat. Il y a plusieurs tendances. Il y a l’événementiel, avec des expériences immersives et des lieux qui sont moins formels (des spectacles se tiennent par exemple dans des endroits abandonnés ou dans les rues). Il y a aussi l’intégration de technologies, par l’entremise de projections, d’éléments vidéo ou d’interactions via son iPhone. Il y a même des décors qui sont faits avec des lunettes de réalité augmentée. De façon plus large, ce qui est tellement puissant avec le théâtre, c’est qu’il nous rassemble. Ça, ce ne sera jamais remplacé. Un spectacle est unique chaque soir, et on doit miser là-dessus.

Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent de votre passage à la tête de l’École nationale de théâtre (ENT) ?

J’espère qu’après mon passage, l’École sera devenue encore plus ce qu’elle a toujours été : une école qui propose au milieu artistique un avenir. On forme pour le théâtre d’aujourd’hui, mais aussi pour celui de demain. J’espère qu’on va penser l’école comme un lieu de rencontres, d’innovation, d’exploration, mais aussi comme une institution transparente et inclusive. Comme dans toutes les entreprises, on se retrouve parfois dans une bulle. Le milieu du théâtre essaie en ce moment de voir comment prendre contact avec les communautés et ceux qui nous entourent. J’aimerais que l’ENT trouve comment les artistes vont s’engager dans tous les changements de société que l’on vit.

Que conseillez-vous aux jeunes qui ambitionnent de faire carrière en théâtre ?

Je ne pense pas que ce soit utile de parler de tous les défis devant eux. C’est difficile d’être artiste, mais ça l’a toujours été. Pour les jeunes, ce moment de transformation sociale que l’on vit est une occasion extraordinaire pour se faire entendre comme artiste. Il faut qu’ils prennent la parole. C’est eux qui vont trouver comment on répond à tous ces changements autour de nous, eux qui créeront de nouveaux publics, qui proposeront de nouveaux modèles, qui redéfiniront le théâtre. Je leur conseille de pousser le plus possible, de ne pas attendre en file.

On parle beaucoup de conciliation travail-famille. Quand tu choisis d’être artiste, il n’y a pas de séparation. J’ai toujours travaillé dans le milieu, ma femme est dramaturge. Pour nous, notre métier et nos vies sont interconnectés. Il faut se rappeler que ce n’est pas juste un job, c’est un choix de vie.

En terminant, quels sont vos plus récents coups de cœur ?

Il y a quatre choses que j’ai vues récemment et que j’ai adorées. Il y a d’abord un spectacle de l’ENT, Trahisons, qui a été présenté à l’église Saint-Denis. C’était des vignettes de tragédie adaptées par Robert Bellefeuille, notre directeur du programme de mise en scène. Au FTA, j’ai vu un spectacle de danse qui s’appelle Seven Pleasures. Ce qui était vraiment extraordinaire, c’est que toute la compagnie était nue sur scène tout le long du spectacle. C’était comme une transe.

J’ai vu aussi deux concerts qui m’ont beaucoup touché : un par un groupe du Mali, Tinariwen, qui était extraordinaire, et l’autre du rappeur britannique Keith Tempest. C’était absolument fantastique, le meilleur spectacle que j’ai vu dans les cinq dernières années. C’est un conteur exceptionnel.

Le parcours de Gideon Arthurs en bref

Âge : 38 ans

Études : Gideon Arthurs est titulaire d’un baccalauréat en études théâtrales de la Brown University, dans le Rhode Island.

En poste depuis : août 2014

Nombre d’employés : 60 à temps plein et entre 300 et 400 formateurs

Avant d’être à la tête de l’ENT : Il a occupé le poste de directeur général du Tarragon Theatre, à Toronto, pendant près de trois ans. Il a auparavant été directeur général du Toronto Fringe Festival. Il est également le fondateur de la compagnie de théâtre Groundwater Productions.

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