Tolérance zéro, mais…
« C’était mon tout premier numéro de six minutes dans un bar. Je suis sorti de scène et quelqu’un est venu me voir pour me dire que ce n’était pas de moi. J’ai eu honte, comme quelqu’un qui est pris la main dans le sac. J’ai pris une grosse claque sur la gueule », confie Jérémy Demay en entrevue avec La Presse.
L’humoriste français, expatrié au Québec depuis plus de 12 ans, n’a aucune gêne à relater encore aujourd’hui l’un des moments les plus humiliants de sa carrière dans un bar montréalais. « Ça fait partie de ma vie, alors ça ne me dérange pas d’en parler », dit-il.
Jérémy Demay avait, à l’époque, repris trois gags d’un humoriste américain qu’il adorait.
« Je ne sais pas pourquoi les autres le font, mais moi, c’était surtout l’inconscience d’un débutant de 22 ans, un peu comme un élève qui copie à l’école. Au lieu d’apprendre ma leçon, j’ai copié mon voisin, par besoin de reconnaissance. J’ai appris à la dure, mais ça m’a beaucoup servi. J’ai dû trouver mon style à 100. % »
— Jérémy Demay
Si Jérémy Demay avoue avoir plagié pour brûler les étapes, Mike Ward explique l’avoir fait par le passé sans même s’en rendre compte. Et ce phénomène a même un nom : la cryptomnésie, « un biais mémoriel par lequel une personne a le souvenir erroné d’avoir produit une pensée, alors que cette pensée a été en réalité produite par quelqu’un d’autre », nous indique Wikipédia.
« Dans mon premier show, j’avais un gag de Sam Kinison, mais je l’ai réalisé seulement après. Je me sentais coupable ! C’est important de le dire quand ça arrive. Depuis, dès que j’écris quelque chose, je le teste et je demande à tout le monde si ça ressemble à quelqu’un d’autre ! », explique Mike Ward, qui a même décidé de ne plus écouter de spectacles ou de balados d’humoristes américains qu’il aime pour ne pas être influencé.
« On ne peut pas tout réinventer, mais il faut que tu essayes quand même. »
— Mike Ward
Selon Guillaume Wagner, les humoristes qui débutent dans le métier sont plus enclins à chercher leur style en empruntant aux plus anciens. « Je ne fais pas exception à ça. Quand j’ai commencé, c’était un beau mélange, je pense ! C’est pour ça que c’est important qu’un humoriste fasse ses classes un peu underground avant d’arriver devant le grand public. Le meilleur humoriste de tous les temps, pour moi, c’est Richard Pryor et il a commencé en imitant complètement Bill Cosby », précise-t-il.
Au Québec, la règle non écrite est claire et partagée par la grande majorité des humoristes : c’est tolérance zéro en matière de plagiat. Et quand deux numéros se ressemblent, on en discute sans tarder.
« Quand je remarque qu’un numéro ressemble à un autre, je vais voir la personne pour le lui dire, affirme Mike Ward. Si elle me dit qu’elle ne savait pas qu’un autre humoriste avait le même genre de sketch, je vais la croire, mais elle doit arrêter de le faire. Sinon, à partir du moment où tu sais que ça existe, ça devient du vol. »
« Deux personnes qui parlent du même sujet, ça arrive. Si tu as fait la blague avant moi, je l’enlève. C’est la procédure », explique pour sa part Sugar Sammy.
L’auteur Michel Sigouin a même collaboré avec son collègue P-A Méthot il y a quelques semaines pour trouver une nouvelle chute à son gag. « Un humoriste avec qui il était en spectacle lui a dit qu’une des blagues qu’il venait de faire m’appartenait. P-A a pris son téléphone le soir même pour m’en parler. Ça se ressemblait beaucoup et je l’ai aidé à trouver un punch différent. Tout le monde était heureux », explique-t-il.
« Le plagiat en humour, c’est l’équivalent de se doper aux Jeux olympiques. C’est la peine capitale de se faire accuser de plagiat. Tu perds le respect, la crédibilité et tes accès. Personne ne va inviter un copieur. »
— Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques
Selon l’agent d’artistes Martin Langlois, l’École nationale de l’humour (ENH) est en grande partie garante de cette éthique qui existe entre humoristes québécois. « Quatre-vingts pour cent des humoristes proviennent de l’ENH. Cette rigueur est enseignée et fait partie du carnet de base des humoristes. Mais ce que je vois venir, c’est qu’il y a une multiplication des soirées d’humour. Beaucoup de monde s’aventure sur les planches et la tentation de piquer des blagues est très forte. Le plagiat pourrait bien augmenter dans les prochaines années », met-il en garde.
Selon Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, les rares cas de plagiat au Québec sont bien plus subtils que ceux dévoilés dans les vidéos de CopyComic en France.
« Ce sont plus des idées empruntées ou détournées ou un statut Facebook retravaillé et transformé en blague. Il y a une zone grise. La prémisse ou le punch va être le même, mais pas intégralement », explique l’humoriste.
« Avec Netflix, on se tient vraiment au courant de ce qui se fait ailleurs, et on voyage beaucoup aux États-Unis. On sait même ce qui se fait dans la relève américaine. Ça serait difficile de traduire les numéros, comme ça s’est fait en France », ajoute-t-il.
Michel Sigouin fait clairement la différence entre un voleur de gags et un humoriste paresseux. « Il y a des humoristes qui font des blagues générales, un peu faciles. Sans nécessairement copier les autres, ils vont finir par dire la même chose qu’eux. Mais quand même les mouvements corporels sont copiés, quand plusieurs blagues se ressemblent, il n’y a pas de doute que c’est du plagiat. »
« On travaille tellement fort sur l’écriture de nos blagues que ça vient vraiment me chercher », conclut-il.