Chronique

L’effet Kotkaniemi

Au téléphone, Mario Tremblay affiche son enthousiasme caractéristique.

« Si je me souviens de mon premier but dans la LNH ? Comme si c’était hier. J’ai lancé, la rondelle a déjoué Ed Giacomin et je suis tombé sur le derrière, les pattes en l’air ! Ç’a été comme un rêve devenu réalité. La foule du Forum applaudissait debout, c’était fou raide. Et tu sais quoi ? C’est à ce moment que mon histoire d’amour avec les fans du Canadien a commencé… »

Jesperi Kotkaniemi n’est pas le même type de joueur que notre Bleuet national. Mais lui aussi, avec son sourire de gamin et ses quelques poils au menton, commence dès l’âge de 18 ans à bâtir sa relation avec les partisans.

En marquant son premier but dans la LNH jeudi, lors du match le plus sensationnel depuis des lunes au Centre Bell, Kotkaniemi est devenu le plus jeune joueur du CH à réussir l’exploit… après Mario Tremblay – eh oui ! –, qui l’a devancé de quelques dizaines de jours.

« Quand j’ai vu Kotkaniemi marquer, je suis devenu ému. Des larmes me sont montées aux yeux et des frissons m’ont parcouru le corps. »

— Mario Tremblay

Tous les anciens joueurs du Canadien témoins de ce moment unique dans la carrière du jeune Finlandais ont sûrement replongé dans leurs souvenirs en le voyant célébrer. Déjouer pour la première fois un gardien de la LNH est un accomplissement mémorable.

Peu importe ses futurs exploits dans le hockey, et souhaitons-lui qu’ils soient nombreux, Kotkaniemi se souviendra toujours de ce tir ayant trompé Braden Holtby, des Capitals de Washington. Comme Mario n’a rien oublié de cet affrontement de novembre 1974 contre les Rangers de New York. Le Canadien l’avait rappelé des Voyageurs de la Nouvelle-Écosse quelques jours plus tôt et il disputait son deuxième match avec l’équipe. Dans ce club de vétérans, il était comme un bébé.

À l’image de Kotkaniemi jeudi, Mario a marqué deux buts ce soir-là, en plus d’obtenir la première étoile. Seule différence : le CH n’a pas remporté la victoire, arrachant un verdict nul de 4-4 grâce à un but de Serge Savard en fin de troisième période.

« Mario, tu n’étais vraiment pas le même type de joueur que Kotkaniemi. Pourtant, je vois un point commun entre vous deux… »

L’ex-numéro 14 ne me laisse pas terminer mon explication. « Je vais te le dire, ce qu’on a de pareil : on aime ça jouer au hockey, on aime ça venir à l’aréna chaque jour, on aime ça être avec nos coéquipiers. T’as vu comment Carey Price et les autres ont réagi à son but ? Ça parle, ça, mon ami ! Ça signifie qu’il est apprécié de tout le monde… »

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Mario a raison : cet amour du jeu, dont la preuve la plus éclatante est son sourire communicatif, anime Kotkaniemi. Et tout le Canadien en profite. Son impact sur l’équipe ne se mesure pas seulement par sa contribution sur la glace, mais aussi par son air engageant.

Hier midi, après avoir participé à l’entraînement optionnel du Canadien – c’est le lot des jeunes joueurs, première étoile ou non la veille –, Kotkaniemi était décontracté comme à l’habitude. Plusieurs journalistes l’ont entouré, tendant la perche de mille façons pour qu’il dévoile ses sentiments au lendemain de ce match magique.

Ces efforts n’ont pas produit un grand succès. Kotkaniemi est poli et sympathique, mais parle peu. Rien à voir avec Mario, par exemple, qui après son coup d’éclat au Forum, il y a presque 44 ans aujourd’hui, a rempli les calepins des journalistes avec sa verve inimitable, disant même avoir eu le pressentiment qu’il marquerait deux buts ce soir-là !

En observant Kotkaniemi debout devant sa place dans le vestiaire, judicieusement située entre celles de Paul Byron et de Brendan Gallagher – ça aussi, ça fait partie de son encadrement –, c’était étonnant de réaliser l’influence que ce tout jeune homme exerce déjà sur l’organisation. Son arrivée est la bouffée d’air frais tant attendue.

Les équipes comme le Canadien, qui ont connu des ratés à répétition au cours des dernières saisons, ne peuvent que proposer de l’espoir à leurs partisans. Mais il a fallu beaucoup d’imagination – même aux plus passionnés d’entre eux – pour identifier des pistes prometteuses durant ce passage à vide. Et les meneurs de l’équipe, avec leur mine trop souvent morose, n’annonçaient pas un renversement de situation.

Voilà que Kotkaniemi apporte une énergie nouvelle. Et que Claude Julien, cet entraîneur qu’on croyait peut-être trop conservateur pour miser sur un jeune dans des situations corsées, montre de l’audace. Jeudi, Kotkaniemi a marqué le but égalisateur à 16 min 56 s de la troisième période et est ensuite retourné sur la patinoire. Julien, et c’est tout à son honneur, n’a pas simplement voulu préserver un point au classement en se fiant à des vétérans jusqu’à la fin du temps réglementaire.

Dans le passé, on a vu des entraîneurs du Canadien agir différemment avec des jeunes en fin de rencontre. « Si un joueur connaît un bon match, tu dois lui montrer qu’il mérite d’être sur la glace », explique Julien, qui précise prendre ses décisions selon le rendement du principal intéressé. En clair, « l’âge et l’expérience » ne dictent pas toujours ses décisions.

« C’est important de donner confiance à un jeune », ajoute-t-il, rappelant cependant l’obligation de respecter les bonnes conditions pour l’utiliser dans un moment crucial. Mais quand Kotkaniemi se comporte comme jeudi, le coach n’hésite pas.

***

Mario Tremblay adore le Canadien depuis des décennies. Ce qui ne l’empêche pas de se montrer au besoin sévère envers son ancienne organisation. Au cours des dernières saisons, il a livré sans ménagement le fond de sa pensée.

Mais en lui parlant hier, en devinant son enthousiasme à propos de Kotkaniemi, j’ai compris qu’il se passait quelque chose dans la relation entre l’organisation et ses partisans. Le courant entre les deux est en voie d’être rebranché.

Pourquoi ? Parce que l’espoir renaît peu à peu. Pas celui de gagner une Coupe Stanley à court terme, bien sûr. Mais le seul fait d’encourager une équipe offrant un bon spectacle, et animée par une énergie positive, représente un immense déblocage.

Et cela, c’est beaucoup dû à l’effet Kotkaniemi.

Pourvu que ça dure.

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