Alimentation  IGA

La GIGA baisse de prix a fait fuir les clients

La stratégie de baisse de prix d'IGA n'a pas fonctionné : les Québécois ont été moins nombreux dans la dernière année à y faire leurs emplettes, a appris La Presse. La haute direction dit tout mettre en œuvre pour renverser la vapeur avec un ambitieux plan de redressement qui commence à porter ses fruits.

Un dossier de Marie-Eve Fournier

Alimentation  IGA

« Pas l’idée du siècle »

Les parts de marché d’IGA ont reculé dans la dernière année de 7 % (passant de 20 à 18,7 %), selon des données confidentielles de Nielsen. Il s’agit de la pire performance parmi les grands détaillants en alimentation au Québec. Nous en avons parlé avec le grand patron Pierre St-Laurent, qui ne nie pas les erreurs et les problèmes d’IGA. Et promet de renverser la vapeur.

Faisant preuve d’une franchise plutôt déconcertante, Pierre St-Laurent ne tente pas d’éviter le sujet lorsque nous lui demandons pourquoi tant de clients ont tourné le dos à IGA.

« L’an dernier, ça a été difficile, je ne vous le cache pas. C’est sûr que la stratégie de prix… Je continue de croire que c’était la bonne chose à faire. […] Mais d’en faire une campagne de marketing, ce n’était peut-être pas l’idée du siècle. »

Le dirigeant fait évidemment référence à la vaste offensive lancée en avril 2016 pour promouvoir la « GIGA baisse de prix » touchant 8500 produits. Ce qu’on n’avait pas dit, c’est qu’au même moment, 2000 prix bondissaient. Les consommateurs l’ont vite constaté et dénoncé sur les médias sociaux. De nouveaux types d’offres promotionnelles ont également provoqué de la confusion et de la frustration. Ce fut le cas des rabais accordés uniquement à l’achat d’un certain nombre de produits identiques.

« Les prix, c’est complexe. C’est souvent difficile à expliquer, c’est ça qui a causé des problèmes. »

— Pierre St-Laurent, vice-président exécutif de Sobeys pour le Québec

Pierre St-Laurent demeure néanmoins convaincu que la baisse de prix « était la bonne chose à faire, sinon on n’aurait pas les résultats actuels ». À preuve, les ventes de produits à prix courants ont augmenté, révèle-t-il.

Il faut aussi dire qu’IGA fait les frais d’un phénomène observable depuis quelques années : les consommateurs délaissent les supermarchés traditionnels au profit des enseignes à bas prix comme Super C et Maxi. À cela s’ajoute la déflation alimentaire qui réduit les chiffres de ventes, rappelle celui qui a été nommé vice-président exécutif de Sobeys pour le Québec au printemps.

« Progrès impressionnants »

La bonne nouvelle, c’est qu’Empire (la société en Bourse derrière Sobeys et l’enseigne IGA) remonte la pente. Après avoir reculé pendant 13 trimestres d’affilée, le volume de ventes est stable ou en légère hausse depuis 2 trimestres, résume une analyse de BMO Marchés des capitaux.

« Empire a fait des progrès impressionnants pour stabiliser ses opérations après une année 2016 à oublier », a écrit l’analyste Mark Petrie, de CIBC, après le dévoilement des résultats du premier trimestre, le 14 septembre. Les ventes ont bondi de 1,4 %, la marge brute est passée de 24,1 à 24,4 % et le bénéfice net a surpassé les attentes.

Bref, l’ambitieux plan de redressement et de rationalisation baptisé Sunrise et annoncé en mai dernier par le nouveau président Michael Medline (ex-président de Canadian Tire) commence à porter ses fruits, tant au Canada anglais qu’au Québec. Même si les changements les plus importants restent à faire (voir onglet suivant).

Confiance en l’avenir

Pierre St-Laurent ne semble pas douter une seule seconde qu’IGA a les atouts nécessaires pour regagner les parts de marché perdues et afficher de solides résultats financiers. D’ailleurs, affirme-t-il, « depuis quatre mois, on enregistre de beaux progrès ».

« Le monde a travaillé fort en tabarouette. Ça ne se tourne pas sur un 10 cents une grosse entreprise de 25 milliards. On a revu la stratégie de prix, on s’est assuré d’avoir des offres qui résonnaient mieux aux yeux des consommateurs. Il y a eu des transformations de magasins et on en a ouvert trois qui vont très bien », énumère-t-il.

Selon Nielsen, les parts de marché d’IGA au trimestre clos en juillet ont reculé de 1,3 point par rapport à la même période en 2016. Mais d’autres indicateurs pourraient être en hausse. Sobeys – comme ses concurrents – ne dévoile pas ses résultats par enseigne et par province.

Une attention particulière est portée à la circulaire, incontournable arme de séduction massive pour tous les détaillants. Cet outil et les médias sociaux sont utilisés pour mettre en valeur l’offre unique d’IGA. Pierre St-Laurent donne en exemple les tartares de Geneviève Everell, les fromages artisanaux, les sauces tomates de Stefano Faita, la poissonnerie (« la plus grande au Québec », dit-il) et la variété de prêt-à-manger.

Se rapprocher des marchands

IGA veut aussi miser sur « les forces » de son modèle d’affaires unique au sein de Sobeys : ses supermarchés sont exploités par des marchands affiliés. « On met nos marchands de l’avant dans nos campagnes de promotion. C’est eux qui nous disent ce qui est important pour les clients. »

« Quand les marchands sont impliqués dans les décisions, ils les font mieux vivre dans les magasins. »

— Pierre St-Laurent, vice-président exécutif de Sobeys pour le Québec 

Les écouter, et mieux les servir. « Ils nous disent qu’on est rendus un peu gros, un peu lents, un peu bureaucratiques. Alors il faut assouplir les règles et donner plus de latitude. »

« Souvent, ce sont les marchands qui nous poussent. C’est une richesse d’information qu’on n’a souvent pas assez utilisée. On a intérêt à se rapprocher. Ma philosophie, c’est que Sobeys va avoir du succès si les marchands ont du succès. Notre client, c’est le marchand. Plus on lui rend la vie facile, plus nos résultats vont être bons. Ça change beaucoup la dynamique. »

« On va gagner avec nos forces, et on en a plein dont on a été gênés de parler ces dernières années. »

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Comment Sobeys ambitionne d’économiser 500 millions

Quatre mois après l’annonce du projet Sunrise – qui doit permettre des économies annuelles d’un demi-milliard d’ici 2020 –, des experts de la vente au détail ont analysé ses trois principales mesures. L’exercice nous permet d’avoir une idée des changements qui s’en viennent, tant pour les employés que pour les fournisseurs.

Réduction d’effectifs

De 50 à 70 millions

Sobeys n’a pas encore précisé l’ampleur des réductions d’effectifs qu’il prévoit réaliser d’ici Noël. Mais selon une analyse de BMO Marchés des capitaux, cette mesure « permettra de réduire les dépenses de 50 millions », ce qui pourrait vouloir dire que 375 personnes seront remerciées (à 135 000 $ chacune). Il s’agira de la plus petite source d’économie du projet Sunrise. CIBC Marchés des capitaux calcule plutôt des économies de 70 millions grâce à « la suppression d’environ 700 emplois largement accomplie en deux vagues d’ici la fin de l’année 2017 ».

L’informatique au service de l’efficacité

De 90 à 100 millions

L’implantation d’un nouveau système informatique générera des économies de 100 millions en « donnant à Empire la possibilité de réaliser des appels d’offres et des négociations structurées pour des achats majeurs dans toute l’entreprise », explique Peter Sklar, de BMO. On parle ici de services ou de biens non vendus en magasin. À l’heure actuelle, les quatre bureaux régionaux fonctionnent indépendamment. La CIBC note que cette portion du plan de rationalisation est « la plus nébuleuse ». Les économies pourraient atteindre environ 90 millions, calcule son analyste Mark Petrie.

Coût des marchandises vendues

De 270 à 350 millions

La plus grande ambition d’Empire concerne le coût de ses approvisionnements. Peter Sklar, de BMO, chiffre les économies potentielles à 350 millions, une « magnitude » qui sera « ardue à atteindre ». Pour y arriver, les prix du non-périssable devraient baisser de 3,5 % selon ses calculs. Il rappelle que Loblaw a voulu imposer une baisse de prix de 1,45 % à ses fournisseurs en 2016, ce qu’il ne semble pas avoir réussi à faire. De plus, les fournisseurs, « devenus plus futés », savent maintenir leur marge de profit. Et ils « sont plus enclins à accorder des rabais aux détaillants en plus forte croissance ». La CIBC croit plutôt qu’Empire réduira le coût de ses approvisionnements de 1,5 % en moyenne. Cela se traduirait par des économies annuelles de 270 millions.

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Repartir à zéro

Environ 800 personnes travaillent dans les bureaux de Sobeys du boulevard Albert-Hudon, à Montréal-Nord. On ne sait pas encore combien seront remerciées ; des annonces sont attendues d’ici Noël.

L’épicier veut simplifier son organisation et éliminer les duplications – « surtout dans les relations avec nos fournisseurs qui se plaignent depuis longtemps que faire affaire avec Sobeys, c’est compliqué, parce qu’on est structurés à la fois de façon régionale et nationale », confie Pierre St-Laurent.

La réorganisation, commencée au sommet de la hiérarchie, se dirige vers la base. Chaque niveau participe à la réorganisation du niveau d’en dessous. « Ce n’est pas souvent qu’une organisation peut repartir de zéro. […] C’est un super bel exercice. Honnêtement, c’est stimulant. »

Pierre St-Laurent est tout de même conscient que le processus est insécurisant pour les troupes. « On essaie de réagir aux préoccupations avec le plus de transparence possible […] On sait qu’à la fin, il va y avoir moins d’employés. Alors on essaie de le faire le plus vite possible parce qu’on sait que ça crée de l’incertitude. »

Empire possède des bureaux à Stellarton (en Nouvelle-Écosse), à Toronto, à Calgary et à Montréal. Il y aura des suppressions d’emplois partout. « Je comprends très bien ce que les employés vivent, mais en même temps, il faut prendre des décisions pour qu’on continue d’avoir du succès dans l’avenir. »

— Marie-Eve Fournier, La Presse

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