Série – Rire du pire – 3 de 3

Ridicules terroristes

Des terroristes qui coupent des têtes ? C’est terrifiant. Mais pour un couple de rebelles syriens, c’est justement parce que les terroristes font si peur qu’il faut s’en moquer.

Des « décapiteurs » islamistes qui réclament du « poulet frit Kentucky » en échange de la vie d’un otage. D’autres qui se saoulent, qui fument, qui écoutent des chansons grivoises en envoyant des confrères illuminés se faire exploser en invoquant leur dieu.

C’est drôle ? Plutôt, oui !

Mais ces œuvres sont d’autant plus fascinantes qu’elles ont été réalisées avec des moyens de fortune par de jeunes Syriens réfugiés en Turquie. Maen Watfe, à la tête du collectif Daya Altaseh, n’avait pas vraiment prévu jouer la comédie. Mais comme ses études en génie électrique ont pris fin quand il a été emprisonné sept mois pour avoir critiqué le régime de Bachar al-Assad, il fallait bien trouver quelque chose pour s’occuper…

Créé en Turquie en 2013, Daya Altaseh s’est d’abord attaqué au président Assad en tournant des sketchs ridiculisant son armée. « Quand nous étions en Syrie, jusqu’à la fin de 2012, l’EI [le groupe armé État islamique] n’était pas encore bien connu, nous explique-t-il, au bout du fil. Mais quand on a compris combien l’EI dévaluait l’islam et notre révolution, on a commencé à s’attaquer aussi à eux. On se bat maintenant contre pas mal de monde, le régime syrien d’un côté et l’EI de l’autre… » À ses côtés, sa conjointe Aya Brown (un pseudonyme pour protéger sa famille), aussi membre du collectif, renchérit. « On se moque aussi du Hezbollah, et d’Al-Qaïda. On a beaucoup d’ennemis ! »

Que trouvent-ils amusant chez les islamistes ? « Eh bien… le fait que rien dans leur démarche n’ait du sens. Rien, dit Aya Brown. Ils disent une chose et font le contraire. Rien n’est clair, c’est très mystérieux, très difficile à comprendre. » Et c’est, pour eux, une source intarissable de blagues.

« Avec la comédie, on peut se battre contre l’EI. En montrant leurs failles, on peut faire en sorte que les gens n’aient plus peur. »

— Maen Watfe

« Pourquoi les médias montrent-ils seulement la puissance de l’EI ?, poursuit Maen Watfe. Pourquoi ne montrent-ils pas aussi ses faiblesses ? Pourtant, les terroristes islamistes en ont plusieurs. S’ils ont l’air puissants, ça les rend plus attirants, et d’autres personnes voudront se joindre à eux. »

L’humour et les réseaux sociaux sont des armes redoutables pour démonter un discours, font-ils remarquer. « Ce que nous avons, c’est pire que des fusils, dit Aya. Avec un fusil, on peut tuer quelques personnes. Avec les médias, on peut atteindre des tas de gens ! »

MENACES DIRECTES

D’ailleurs, au fil des mois, leurs vidéos ont commencé à attirer de plus en plus l’attention. Des commentaires haineux sur l’internet, leurs ennemis sont passés aux menaces directes. Après l’attentat au journal français Charlie Hebdo, en janvier, ils ont reçu de la visite. « On nous a dit : "Nous avons réussi à avoir Charlie Hebdo, alors ce sera du gâteau de vous avoir". »

Aya Brown était enceinte. « Ça m’a rendue plus inquiète. Je ne me sentais pas bien durant les premiers mois, dit-elle. Mon mari est très fort, il croit en la vie, il se fiche des menaces. Mais ç’a changé quand je suis tombée enceinte. On a décidé de partir. »

Ils ont donc quitté la Turquie pour emprunter la route de l’exil, avec tous les autres réfugiés. Ils ont posé leurs valises cet automne à un endroit qu’ils nous ont demandé de ne pas révéler, pour leur sécurité. Depuis septembre, Daya Altaseh s’est tu.

« Nous voulons recommencer à faire des vidéos dès que possible, assure Maen Watfe. Mais comme nous sommes désormais des réfugiés, nous attendons de voir notre statut être régularisé. C’est très long. On ne sait pas si on sera acceptés ou refusés. Si nous sommes reçus comme résidents, nous allons reprendre le boulot. Nous avons plein d’idées, nous sommes ambitieux. On n’attend que la bonne occasion pour recommencer ! »

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