L’avis du nutritionniste

Pour un Guide alimentaire moderne

Le prochain Guide alimentaire canadien devrait faire son apparition au plus tard en 2019. Cette semaine, nous avons été catapultés, sans trop d’avertissements, dans la fameuse période de consultation publique. Santé Canada offre à tous les citoyens l’occasion d’émettre leur opinion sur ce à quoi cet outil de santé publique devrait ressembler. J’en profite donc pour leur faire parvenir ma liste de souhaits, quelques semaines avant Noël, pour cette refonte tant attendue. Les voici.

TENIR COMPTE DU DEGRÉ DE TRANSFORMATION DES ALIMENTS

Un Guide alimentaire canadien moderne devrait s’inspirer de la classification des aliments NOVA, qui a d’ailleurs été utilisée dans le cadre du déjà-plus- si-nouveau guide alimentaire brésilien. Elle distingue les aliments frais ou minimalement transformés (ex. : légumes, fruits, lait), les ingrédients culinaires transformés (ex. : huile, sel, sucre), les aliments transformés (ex. : fromage, légumineuses en conserve, viande fumée) et les aliments ultratransformés (ex. : boissons sucrées, biscuits, gâteaux, grignotines).

Il a bien été démontré que plus le pourcentage de calories provenant des aliments ultratransformés est élevé, plus la qualité globale de l’alimentation se dégrade. En d’autres mots, plus nous mangeons d’aliments riches en sucre, en gras et en sel, comme ceux cuisinés par l’industrie, moins notre alimentation est nutritive.

Notre outil de santé publique ne devrait pas catégoriser ensemble les pommes et le jus de pomme, le jambon et le saumon, le lait et le lait au chocolat.

GARDER EN TÊTE L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL DES RECOMMANDATIONS ALIMENTAIRES

Les problèmes environnementaux d’aujourd’hui seront les problèmes de santé publique de demain. Dans un contexte de changements climatiques et de surexploitation des ressources naturelles, il serait irresponsable de ne pas adapter les conseils alimentaires en conséquence.

Miser sur les aliments locaux, en saison, est un incontournable. Non seulement ces aliments n’ont pas eu à voyager des milliers de kilomètres, ce qui aurait généré des gaz à effet de serre, mais en les privilégiant, on encourage l’économie locale et les agriculteurs d’ici.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près de 90 % des stocks de poissons sont pêchés au maximum de leur capacité ou surexploités. Il serait pertinent de se questionner sur la recommandation de consommer « deux portions de poisson par semaine ». Il faudrait à tout le moins nuancer afin de mettre en valeur les espèces issues de pêche et d’aquaculture durables.

L’industrie de l’élevage génère autant de gaz à effet de serre que l’industrie du transport, mondialement. La production de ces sources de protéines animales demande de plus d’immenses quantités d’eau et de sol. Sans nécessairement promouvoir le végétarisme, il conviendrait d’insister sur les bénéfices d’une alimentation basée sur les végétaux. Aider la population à diminuer sa consommation de viande, particulièrement la viande rouge, devrait faire partie de notre outil de santé publique.

ÉLIMINER LE CONCEPT DE PORTIONS

C’est en 1942 qu’est né le premier guide alimentaire. Publié en temps de guerre, il voulait aider la population à prévenir les carences en nutriments, d’où l’intérêt de conseiller un nombre de portions d’aliments à consommer. Or, en 2016, notre guide est toujours inspiré par ce concept, même si ce sont les maladies chroniques, causées en partie par la surconsommation alimentaire, qui tuent plus que le scorbut, le rachitisme et le béribéri.

Tant et aussi longtemps que les conseils d’un guide alimentaire sont d’ordre quantitatif, il est facile pour l’industrie de travestir ses visées de santé publique.

En recommandant de consommer un certain nombre de portions, par exemple, il devient simple pour un transformateur alimentaire de déclarer que chaque pointe de sa pizza congelée contient une portion de légumes et fruits (poivrons et champignons), une portion de lait et substituts (fromage), une portion de produits céréaliers (croûte) et une portion de viandes et substituts (pepperoni).

De pair avec le degré de transformation des aliments, des conseils tels que « Faites des aliments frais la base de votre alimentation  », « Évitez les aliments ultratransformés » ou « Utilisez le beurre, le sucre, le sel et les huiles avec modération » sont, à mon avis, plus puissants que ce que leur simplicité suggère. Ils se retrouvent d’ailleurs parmi ceux mis de l’avant par le guide alimentaire brésilien.

FERMER LA PORTE À L’INDUSTRIE

Pour que le prochain guide soit réellement moderne, et qu’il se laisse une chance de pouvoir inscrire « mangez moins de  » ou « buvez moins de » certains aliments et boissons en particulier, il se doit d’être totalement indépendant de l’industrie agroalimentaire.

À mon avis, les experts invités à siéger à un comité consultatif devraient être libres de tous conflits d’intérêts. Ils ne devraient pas travailler directement pour l’industrie agroalimentaire, leurs recherches ne devraient pas être financées par ces multinationales ou ces associations de producteurs et ils ne devraient pas détenir d’actions dans ces entreprises.

Nous avons jusqu’au 8 décembre pour envoyer notre liste de souhaits à Santé Canada. Nous n’avons peut-être pas le même budget que l’industrie, mais nous avons l’avantage du nombre. Profitons-en pour nous faire entendre.

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