Chronique

Votre argent au bout du doigt

Avec le lancement du portefeuille Apple Pay au Canada, l’argent devient littéralement digital. Plus besoin de fouiller au fond de votre sac pour dénicher la bonne carte dans votre portefeuille. Juste à passer votre iPhone près du terminal de paiement sans contact pour régler vos achats par débit ou crédit.

Votre empreinte digitale devient le chien de garde de vos transactions.

Plus vite, plus simple, plus pratique. Sans doute. Mais quels sont les risques et les protections pour les consommateurs ?

Les institutions financières assurent que le nouveau mode de paiement est tout à fait sécuritaire. Même si vous payez par débit, il n’y a aucun danger de vous faire vider votre compte bancaire.

Le réseau Interac a mis au point une technologie de « jeton » qui fait en sorte que les informations financières du client ne se trouvent même pas dans le téléphone. Lorsque le client fait une transaction, ce jeton – qui est comme un miroir des informations de la carte – permet à Interac d’acheminer la demande à la banque, qui retourne la réponse à Interac, puis au commerçant.

Si le consommateur perd son téléphone, il peut désactiver le fameux jeton. « Avec la fonctionnalité “localiser mon téléphone”, le client a la possibilité de suspendre temporairement ou de façon permanente la possibilité de faire des transactions à partir de son téléphone. Il peut aussi s’adresser directement à son institution financière pour stopper les transactions », explique Cassandre Blonbou, chargé d’implémentation chez Interac.

De toute façon, si un malfaiteur mettait la main sur un téléphone, il ne pourrait pas s’en servir pour faire des achats, puisque la technologie Touch ID permet de confirmer qu’il s’agit de la bonne personne à l’aide de l’empreinte digitale.

En outre, les paiements sont généralement limités à 100 $, ce qui réduirait les dégâts.

« La méthode Apple Pay est aussi sécuritaire que les cartes de débit à puce qui permettent déjà le paiement sans contact », explique Carolyn Burke, chef, paiements internationaux, à la Banque Royale.

En effet, plusieurs cartes à puce permettent déjà le paiement « sans contact » offert chez 85 % des commerçants au Canada. Et la plupart des grandes banques offrent aussi le paiement à l’aide d’autres types de téléphone depuis un an ou deux.

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Reste que l’offensive d’Apple, connue pour révolutionner les industries auxquelles elle s’attaque, donne à réfléchir…

Aucune technologie n’est infaillible. Aucune entreprise n’est à l’abri des pirates informatiques. Souvenez-vous seulement en 2013, quand 110 millions de clients de Target se sont fait voler leurs données bancaires lors d’une attaque informatique.

C’est l’équivalent du tiers de la population américaine !

Il est vrai qu’en cas de fraude, les consommateurs sont protégés par la politique zéro responsabilité, tant pour la carte de débit que de crédit.

Mais si vous êtes victime de vol d’identité, c’est vous qui serez pris avec les conséquences pour de longues années. C’est vous qui devrez faire des appels, annuler des cartes, changer des mots de passe. Rien de très réjouissant. Mais si on a volé votre empreinte digitale, ce sera plus difficile de changer de doigt !

Ce n’est pas pour rien que le Commissaire à la vie privée du Canada se préoccupe de l’utilisation de plus en plus répandue des données biométriques, y compris par le gouvernement du Canada.

« Seriez-vous prêts à donner vos données corporelles au gouvernement ? Non. Alors, pourquoi le faire avec une entreprise ? Tout ça juste parce qu’on ne veut pas sortir notre carte de crédit de notre portefeuille ! C’est peut-être pratique, mais quelles seront les conséquences de tout ça ? On le saura seulement plus tard », dit Philippe Viel, porte-parole de l’Union des consommateurs.

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Or, la législation est forcément toujours en retard sur l’innovation.

Prenez les achats à distance sur l’internet. Depuis 2007, la Loi sur la protection du consommateur donne la possibilité aux internautes qui ne reçoivent pas le produit qu’ils ont commandé d’exiger que l’émetteur de leur carte de crédit procède à une « rétrofacturation » en allant rechercher l’argent dans le compte du commerçant. Un très bel outil.

Mais pour l’instant, la loi ne s’applique pas aux transactions par cartes de débit, beaucoup plus rares pour les achats en ligne. Mais les choses pourraient changer. Surtout que le service Apple Pay devrait permettre les achats intégrés aux applications mobiles d’ici un mois ou deux, tant par débit que par crédit.

Cela n’empêche pas les institutions financières d’offrir la rétrofacturation aux détenteurs de cartes de débit qui font des transactions en ligne. Pour en avoir le cœur net, vérifiez votre contrat. Mais dans le doute, privilégiez le crédit sur le web.

Par ailleurs, l’Office de la protection du consommateur rappelle qu’il est formellement interdit aux commerçants de facturer pour le mode de paiement. Les consommateurs ne devraient donc jamais avoir à payer des frais supplémentaires parce qu’ils paient à partir de leur téléphone.

Toutefois, la multiplication des transactions à l’aide de votre téléphone pourrait entraîner des frais bancaires additionnels si vous dépassez le nombre de transactions permis dans votre forfait mensuel, met en garde M. Viel. Soyez à l’affût, car les transactions à la pièce coûtent très cher !

Mais, surtout, assurez-vous de garder le contrôle sur votre budget. Plus l’argent devient virtuel, plus il risque de vous faire perdre le compte de toutes ces petites transactions qui s’additionnent si vite.

Si l’argent vous brûle les doigts, sortir 40 ou 60 $ de votre compte bancaire chaque semaine pour vos menues dépenses demeure un moyen simple et efficace de contrôler son budget… au risque de passer pour un dinosaure !

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