CHRONIQUE

RAMQ C. BONJOUR-SANTÉ
La grosse machine

Le gouvernement du Québec et la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) sont partis en guerre contre Bonjour-santé, une entreprise qui propose aux patients de leur trouver rapidement, contre rémunération, un rendez-vous dans une clinique. L’entreprise conteste, devant les tribunaux, l’inspection musclée que la RAMQ a lancée à son égard.

Ce n’est pas l’histoire du siècle. Une autre chicane dans le monde de la santé, dans la zone grise entre le système public et les composantes privées.

Ce nouvel incident a cependant l’intérêt d’illustrer plusieurs travers de notre système, surtout sa grande difficulté à générer et à valoriser l’innovation.

Encore une fois, c’est un cas où la grosse machine étatique déploie beaucoup plus d’énergie à préserver le système plutôt qu’à s’occuper du bien-être des patients. Bonjour-santé gère un système de réservation auquel adhèrent 295 cliniques. Sur son site, on peut, gratuitement, prendre un rendez-vous dans sa propre clinique, ou on peut, pour 17,25 $ plus taxes, obtenir un rendez-vous le jour même ou le lendemain dans une autre clinique.

Un autre service, le chronoscope, qui permet de réduire le temps d’attente des clients sans rendez-vous, suscite plus de méfiance, parce qu’il est perçu comme un coupe-file. Mais j’ai l’impression que c’est parce qu’on comprend mal son algorithme.

Ces services jouent un rôle utile. Ils permettent un meilleur accès, ils améliorent la gestion des rendez-vous des cliniques en bouchant les trous, et surtout, ils aident les citoyens pour ce qui est devenu un bien précieux – et dont le système de santé ne tient jamais compte –, le temps.

Il est vrai que le ministre Barrette a annoncé la mise en place pour l’automne d’un service public gratuit de prise de rendez-vous qui comblerait ces mêmes besoins. Mais il y a tout à parier, connaissant les relations tumultueuses du monde de la santé avec l’informatique, que ça n’arrivera pas si vite, qu’il y aura des ratés, des délais, des dépassements de coûts.

On notera aussi le caractère suspect de l’intérêt soudain de la RAMQ pour Bonjour-santé.

Le service existe depuis 2012, mais ce n’est qu’à l’hiver 2017 que l’organisme s’est penché sur ce cas, justement au moment où, comme par hasard, on apprenait que Québec s’apprêtait à lancer son propre système. Difficile de ne pas y voir une façon pour le gouvernement d’arriver avec ses gros sabots pour tasser un concurrent encombrant dans une sorte de « bullying » bureaucratique.

Et derrière, comme d’habitude, des avocats et des analyses juridiques, puisque le système de santé est régi par une loi plutôt que par des principes et des valeurs. La RAMQ se demande donc si ces services de rendez-vous sont légaux. Il ne s’agit pas de frais accessoires, maintenant interdits – ce n’est pas facturé par le médecin, ce n’est pas obligatoire. Mais comme la visite chez le médecin doit être gratuite, on peut dire, comme la Régie, que ces frais de 17,25 $ peuvent être vus comme un paiement contrevenant au principe de gratuité.

On peut aussi dire, comme Bonjour-santé, qu’il ne s’agit pas d’un paiement pour une visite médicale, mais plutôt pour un service distinct, celui de la recherche de rendez-vous. J’ajoute qu’il y a souvent des frais pour aller voir un médecin, par exemple le stationnement, pourtant pas remboursé. Bref, on pourra s’amuser longtemps.

Mais le plus fascinant dans cette histoire, c’est qu’elle met en relief un des grands problèmes de notre monopole d’État, centralisé, sans concurrence : sa tendance à étouffer l’innovation. 

Les carences du Québec à cet égard ont été souvent soulignées, notamment dans un rapport produit par le CIRANO et le Pôle Santé HEC, Catalyseurs et freins à l’innovation en santé au Québec.

Le cas de Bonjour-santé permet d’aborder l’innovation par le petit bout de la lorgnette. On peut d’abord noter que cet outil, qui comble les besoins des patients, qui permet aussi d’optimiser le fonctionnement des cliniques en faisant appel aux technologies de l’information, a été conçu en dehors du système public de santé. Il a fallu cinq ans pour que le système public se réveille.

Et pourquoi ? Entre autres parce qu’une entreprise privée a plus de souplesse, qu’elle est plus à l’écoute du client, et qu’elle a en outre un incitatif financier.

Des mécanismes efficaces pour favoriser l’innovation que l’on ne retrouve pas dans un grand système public.

Et quelle est la réaction de l’État ? Le ministre de la Santé Gaétan Barrette l’a exprimée avec son tact légendaire : « Moi, je suis dans mon territoire, qui est le système de santé géré par l’État. Si eux s’immiscent dans le système de santé avec des produits payants, c’est à leurs risques. »

Le message est là. Si vous voulez innover en dehors du système, vous serez punis. Et comme le système n’innove pas, surtout quand il s’agit du bien-être du patient, on continuera à tourner en rond.

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