CHRONIQUE REVENUS DES MÉNAGES

Voudriez-vous avoir 10 000 $ de plus ?

Depuis des années, on dit et redit que le revenu des Québécois est l’un des plus bas au Canada et parmi les plus bas des pays riches. Ce ne devrait donc pas être un choc d’apprendre que les données du recensement rendues publiques hier par Statistique Canada révèlent que le Québec est à l’avant-dernier rang pour le revenu des ménages.

Le revenu médian des ménages québécois, celui pour lequel il y a autant de ménages au-dessus qu’en dessous, était de 59 822 $ en 2015. Il a progressé de 8,9 % en termes réels entre 2005 et 2015, dans une décennie pourtant troublée. Il y a eu un certain enrichissement. Et c’est la bonne nouvelle.

Mais nous sommes loin du trio de tête :  les ménages de l’Alberta, 93 835 $, de la Saskatchewan, 75 412 $, et de l’Ontario, 74 287 $. Nous sommes aussi à environ 9 000-10 000 $ derrière le Manitoba, 68 147 $, et la Colombie-Britannique, 69 995 $. Sans compter le fait que les provinces atlantiques, sauf le Nouveau-Brunswick, nous dépassent aussi.

Ces nouvelles données, pas tout à fait comme les autres, permettent de jeter un éclairage nouveau sur ce vieux débat. La plupart des chiffres dont on se sert d’habitude dans les comparaisons sont des données globales, macroéconomiques, comme le PIB par habitant, des statistiques qui viennent d’en haut, abstraites, souvent difficiles à interpréter.

Les données du recensement viennent d’en bas. Elles sont tirées des questionnaires remplis par les citoyens en 2016, mais elles ont été validées par un couplage avec les données de l’Agence du revenu du Canada. C’est certainement la mesure la plus fidèle de la situation réelle des gens. Le revenu total englobe tous les revenus – comme les salaires, les régimes de retraite, les revenus de placement –, et inclut les transferts – pensions de vieillesse, chômage, aide aux familles.

Mais ces données soulèvent des questions. Sans vouloir rattraper l’Alberta, on peut très bien se demander pourquoi nous sommes si loin de provinces comme le Manitoba ou la Colombie-Britannique.

Est-il normal que les ménages québécois touchent 10 000 $ de moins chaque année ? Et surtout, est-ce que les Québécois aimeraient que leur revenu augmente de 10 000 $ ?

Ces statistiques du recensement, parce que le Québec est vraiment en queue de peloton, peuvent nous aider à illustrer les limites des arguments que l’on évoque le plus souvent pour justifier ces écarts de revenu ou pour en minimiser les impacts.

L’argument béton, c’est le fait que nos revenus plus faibles sont compensés par un coût de la vie plus bas, notamment pour le logement. C’est vrai pour Toronto et Vancouver. Mais les propriétés ne coûtent pas plus cher à Calgary qu’à Montréal, et elles sont moins chères presque partout ailleurs où les revenus sont pourtant plus élevés qu’ici.

Il y a aussi un argument fataliste, le fait que certaines provinces ont la chance d’avoir des ressources naturelles. Il est vrai que l’exemple de Terre-Neuve est éloquent. Le revenu des ménages y a bondi de 28,9 % en 10 ans. Les ménages y touchaient 2717 $ de moins que les ménages québécois en 2005. Ils en reçoivent maintenant 7450 $ de plus. Ce n’est pas de l’argent de Monopoly. L’activité pétrolière a profité aux citoyens. Mais difficile de se plaindre, quand nous avons dit non au gaz, au pétrole, à l’uranium.

Il y a enfin l’argument des services publics qui compenseraient nos plus faibles revenus. Oublions le fait que ce n’est pas un argument logique, car pourquoi faudrait-il être moins riches pour avoir de meilleurs services ? Regardons plutôt ce dont il s’agit. Quels sont ces services qu’on ne trouverait pas ailleurs ? Certainement pas la santé ni même l’éducation. On en revient toujours aux trois programmes uniques au Québec, les services de garde, les droits de scolarité plus bas, l’assurance médicaments.

J’ai fait un petit calcul avec des chiffres arrondis. Le programme des services de garde coûte 2,4 milliards à l’État. Les droits de scolarité plus bas – 2391 $ ici contre environ 5300 $ ailleurs – pour 222 000 étudiants coûtent 650 millions. L’assurance maladie coûte 3,5 milliards, mais comme il y a des programmes ailleurs, disons que le programme québécois coûte 2 milliards de plus. Total : environ 5 milliards.

Et maintenant, l’autre côté de l’équation. Le recensement dénombre 3 531 660 ménages au Québec. Si chacun d’entre eux touchait 10 000 $ de plus, cela représenterait des revenus additionnels de 35 milliards.

Est-ce qu’on veut avoir 35 milliards de moins en revenus pour avoir 5 milliards de plus en services ?

C’est toujours le même débat. Mais peut-être qu’en inversant la proposition, on réussira mieux à ébranler la logique de l’inertie. Au lieu de parler de prospérité, de création de richesse, de niveau de vie, de productivité, de valeur ajoutée, on devrait prendre le problème à l’envers : parler des revenus des citoyens et se donner comme cible leur augmentation.

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