Affichage en français

Pas toujours, pas partout

Le français brille encore par son absence à côté d’un certain nombre d’enseignes, tandis que d’autres détaillants manquent d’uniformité dans leur affichage, révèle notre tournée des mégacentres et des artères commerciales depuis l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions de la Charte de la langue française. Le problème ? Les villes et leurs règlements aussi étonnants que disparates, se défendent les entreprises. 

Un dossier de Marie-Eve Fournier

Affichage en français

Encore des récalcitrants après trois ans

Les entreprises dont la raison sociale n’est pas en français ont eu trois ans pour ajouter au moins un mot dans la langue de Molière sur leur façade. Or, même si l’on voit des changements un peu partout au Québec, il est encore facile de trouver des retardataires, à commencer par la vaste majorité des 600 restaurants Subway.

Une simple promenade dans les mégacentres et les artères commerciales permet en effet de constater que le français brille encore par son absence à côté d’un certain nombre d’enseignes. Pourtant, la date ultime pour se conformer aux nouvelles dispositions de la Charte de la langue française était le 25 novembre 2019, après la période de grâce de trois ans.

En arrivant au Marché central, par exemple, on voit tout de suite que Best Buy, Laser Game Evolution, Guess et Stokes n’affichent pas de description ou de slogan en français. Au Carrefour de la Rive-Sud, les détaillants Marshalls et Yellow n’ont pas davantage ajouté d’appendice à leur nom.

Au Quartier DIX30, Desigual (mot espagnol), American Eagle Outfitters, Sunglass Hut et Peak Performance n’ont pas changé leur façade.

Dans la ville voisine, à Greenfield Park, Home Depot n’a pas accroché son slogan en français « L’entrepôt de la rénovation du Québec », qu’on voit pourtant sur d’autres succursales de la province.

Le géant américain n’a pas voulu nous accorder d’entrevue au sujet de son processus de conformité. Par courriel, une porte-parole nous a simplement précisé que sa formule futée a été introduite au Québec « il y a plusieurs années » et n’est pas « le résultat de la récente législation ».

« UN GROS 90 % »

À l’instar de Home Depot, bien d’autres détaillants manquent d’uniformité dans leur affichage, révèle notre tournée de cinq mégacentres ; leur affichage est conforme à certaines adresses, mais pas toutes. C’est le cas de Best Buy, de Marshalls, de Linen Chest, d’Urban Barn…

Selon le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), « à vue de nez, un gros 90 % » des détaillants se sont conformé aux dispositions, rapporte le porte-parole Jean-François Belleau ». Et le processus « s’est relativement bien passé ».

De fait, on voit beaucoup plus de français qu’auparavant : Costco a ajouté le mot « Entrepôt » ; Old Navy, « Mode pour tous » ; Brick, « Matelas, électroménagers, meubles, électroniques » ; Toys “R” Us, « Jouets » ; Golf Town, « Tout pour le jeu » ; et Home Sense, « Maison ». Mais pas toujours, pas partout.

De son côté, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a affirmé en entrevue avoir « fait des inspections dites préventives auprès de plus de 1000 entreprises » du territoire montréalais. Le bilan ? Impossible de le savoir, car « l’objectif n’est pas de faire un bilan. L’objectif est de s’assurer que les entreprises assurent la présence du français. […] On n’a pas d’autres visées que ça », a justifié la directrice des communications, Julie Létourneau.

Chose certaine, même si la période de grâce est bel et bien terminée, l’OQLF continue de travailler avec des entreprises – comme Yellow et Guess, a-t-on appris – afin qu’elles modifient leur affichage. 

« Notre but, ce n’est pas qu’il y ait des amendes. Parce qu’ultimement, l’entreprise va payer l’amende, mais il n’y aura pas plus de présence du français. Nous, ce qu’on veut, c’est [assurer] la présence du français. »

— Julie Létourneau, de l’Office québécois de la langue française

Notons que toutes les entreprises présentes au Québec sont visées, pas seulement les détaillants. Ainsi, une usine ou un entrepôt dans un parc industriel dont la raison sociale n’est pas en français devrait aussi changer son enseigne.

SUBWAY UNILINGUES ANGLAIS

Il en va évidemment de même pour les restaurants, pour qui les nouvelles règles n’ont pas suscité une levée de boucliers. « J’ai 5600 membres et je n’ai même pas eu un seul téléphone ! […] On est chanceux, car on a un nom générique et bilingue, le mot “restaurant” qu’il suffit d’ajouter », lance François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association restauration Québec (ARQ).

Du côté de Restaurants Canada aussi on affirme que la transition s’est faite en douceur, car les grandes chaînes présentes aux quatre coins du monde sont habituées à se plier à une série de règlements locaux, explique son vice-président aux affaires fédérales et au Québec, David Lefebvre.

Mais la chaîne Subway fait bande à part. Sur ces 600 restaurants du Québec, seule une fraction affiche le mot de français « restaurant ». 

Le spécialiste du sous-marin dit travailler avec l’OQLF et promet toutefois de se conformer « dans les meilleurs délais ». « Cette année, c’est notre objectif », soutient la vice-présidente de Subway pour le Québec, Nathalie Émard.

Le retard s’explique notamment par les délais dans certaines villes à approuver des modifications à l’affichage et le fait que « plus de 350 restaurants vont subir une transformation de décor dans les prochaines années ».

L’OQLF n’a pas voulu commenter ce cas précis ni aucun autre, d’ailleurs. Car chaque situation est « complexe » et doit faire l’objet d’une « analyse très poussée ». Souvent, « c’est du cas par cas dans le cas par cas », martèle Fabien Villielm, directeur de la performance et du soutien opérationnel à l’OQLF.

Chose certaine, Apple et Nike ne devraient pas avoir trop de soucis : ils n’affichent tout simplement pas leur nom sur leurs magasins, préférant y accrocher uniquement leur célèbre logo. Un langage universel !

EN RÉSUMÉ

Les modifications au Règlement sur la langue du commerce et des affaires sont en entrées en vigueur le 24 novembre 2016 pour tout nouvel affichage.

Les entreprises avaient trois ans pour modifier les affichages déjà en place.

Toutes les entreprises présentes au Québec sont visées, et ce, peu importe leur taille et leur secteur d’activités.

Les nouvelles exigences de la Charte de la langue française encadrent l’affichage des marques de commerce dans toute autre langue que le français.

CE QUE RISQUENT LES RÉCALCITRANTS

1. Quand l’OQLF reçoit une plainte du public, il l’analyse.

2. Les entreprises fautives sont jointes. L’Office tente alors de collaborer avec elles pour mettre en place des mesures de correction.

3. Si une entreprise refuse de se conformer, elle peut être mise en demeure de le faire. Si rien ne bouge, l’OQLF peut transmettre le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Moins de 2 % des dossiers sont transmis au DPCP.

4. Le DPCP décide s’il intente un recours en justice. Les coupables s’exposent à des amendes de 1500 à 20 000 $.

Affichage en français

Le problème :  les Villes

Quelle est la principale difficulté rencontrée par les entreprises qui ont changé leur affichage pour y ajouter du français ? Des règlements municipaux aussi étonnants que disparates et nombreux.

Convaincre le siège social d’une multinationale établie aux États-Unis ou en Europe d’ajouter quelques mots de français à côté de sa marque de commerce sur ses succursales du Québec, c’est la partie facile du processus de conformité, affirme le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD).

« Les seuls endroits où ça a accroché, c’est l’arrimage entre le municipal et le provincial », résume le porte-parole du CCCD, Jean-François Belleau. En d’autres mots, les détaillants n’ont pas eu de soucis « sur le principe, mais sur la logistique ».

Car même si Québec exige l’ajout de mots en français sur les façades, à Montréal, donne-t-il en exemple, la superficie relative sur laquelle il est permis d’afficher est limitée. Quand cette limite est déjà atteinte, quelles sont les solutions ? Négocier avec la municipalité, demander une dérogation, revoir son affichage au grand complet… Avec le temps, l’énergie et les coûts que cela implique.

Idem du côté de Restaurants Canada, qui compte parmi ses membres « toutes les chaînes comme McDonald’s et Tim Hortons ». 

« Quand nos membres nous parlent d’affichage, ils nous parlent surtout des règlements municipaux… Une affiche pas trop grande, l’affiche qui doit être en retrait du commerce, la hauteur des affiches… C’est plus ça qui pose problème que le respect des [exigences] linguistiques. »

— David Lefebvre, porte-parole de Restaurants Canada

Nathalie Émard, vice-présidente de Subway pour le Québec, trouve « malheureux » qu’une loi provinciale soit « complexifiée » par une série de règlements municipaux qui changent d’un endroit à l’autre. « S’il y avait quelque chose à refaire, peut-être qu’ils auraient pu négocier entre eux… », lâche-t-elle.

LETTRES SÉPARÉES SEULEMENT

Le détaillant de chaussures Yellow, qui compte 85 succursales aux quatre coins de la province, s’est aussi frotté ces derniers mois à une multitude d’exigences municipales.

Jusqu’ici, environ 25 magasins de l’entreprise montréalaise affichent l’expression « Depuis 1916 ». Ce descriptif, qui « ajoute une richesse à la marque », a été « approuvé par l’OQLF », souligne la directrice du marketing, Johanne Labelle. Or, des municipalités n’étaient pas d’accord. Elles auraient préféré qu’on accroche le mot chaussures. Mais comme tout détaillant, Yellow souhaite que ses magasins soient uniformes.

Aussi, pour minimiser les coûts importants que les changements d’affichage engendrent, Yellow a choisi de se faire fabriquer une boîte illuminée de l’intérieur (les mots français doivent être éclairés, dit le règlement) sur laquelle est écrit « Depuis 1916 » avec une fleur de lys. De cette manière, l’électricien n’a qu’une seule connexion à effectuer.

Surprise ! des villes exigent des lettres séparées, ce qui implique dans le cas de Yellow 11 connexions électriques (10 lettres et la fleur de lys) et, par le fait même, des coûts additionnels.

FACTURE SALÉE

Aussi faut-il savoir que chaque mot Yellow doit être accompagné de français. Ainsi, sur certains immeubles, « il y en a tout le tour, donc c’est quatre changements […], ça quadruple le coût. On cherche des miracles », soupire Mme Labelle. En tout, Yellow doit ajouter du français à plus de 120 endroits. Et chaque fois, un permis de la Ville et une autorisation du propriétaire de l’immeuble sont requis.

Le détaillant de chaussures n’a pas souhaité chiffrer les coûts totaux prévus pour se conformer à la loi, mais dit qu’ils seront difficiles à absorber. En plus, l’ajout d’un slogan en français ne fera pas bondir le chiffre d’affaires, fait valoir Mme Labelle. « Ça ne nous apporte rien », déplore-t-elle en précisant que, d’ici quelques semaines, toutes les succursales seront conformes. Somme toute, les « démarches vont bien », tient-elle à souligner.

À eux seuls, les permis délivrés par les Villes coûtent entre 100 et 1000 $. Souvent, le temps d’attente pour les obtenir est de quelques mois. « Et il faut d’abord voir comment chaque ville calcule avant de faire des demandes […]. Il faut attendre que ça passe devant le CCU et, dans certaines places, c’est plus long que d’autres », raconte Nathalie Émard de Subway.

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