Une carrière sur sa lancée
L’arrivée de Joël Bouchard dans la famille du Canadien est une excellente nouvelle. Mais suis-je le seul à demeurer sur mon appétit ? J’aurais aimé que cet homme dynamique, plein d’idées et excellent communicateur obtienne un poste lui permettant de bousculer davantage l’ordre établi au sein de cette organisation qui fait du surplace depuis trois ans.
Non, ce n’est pas à titre de conseiller principal de Marc Bergevin que Bouchard se joint au Canadien. Le DG continuera d’être épaulé par la même garde rapprochée (Rick Dudley en moins) dont la part de responsabilité dans le triste rendement de l’équipe ne peut être ignorée. Au septième étage du Centre Bell, le statu quo semble malheureusement bien en place.
C’est donc à Laval, à titre d’entraîneur-chef du Rocket, que Bouchard travaillera à sa façon à la relance du CH. Bergevin, qu’on n’avait pas vu aussi souriant depuis longtemps, était fier d’annoncer sa nomination qui suit celle de Dominique Ducharme, nouvel adjoint de Claude Julien.
En Bouchard et Ducharme, le CH mise sur deux hommes qui ont brillé dans le hockey junior québécois et canadien.
Et malgré la réserve que j’ai exprimée plus haut, je m’en réjouis beaucoup. Pour reprendre l’expression si souvent entendue au cours des dernières semaines, le Canadien « n’avait pas le droit » de les échapper.
Alors bravo à Bergevin de l’avoir compris et d’avoir conclu avec succès les négociations. Comme il l’a dit avec raison, si les deux ne s’étaient pas retrouvés avec le CH, ils seraient aujourd’hui avec une autre équipe de la LNH. Bravo aussi au DG d’avoir répété qu’il était « primordial » que les entraîneurs-chefs du CH et du Rocket s’expriment en français, réitérant ainsi la position officielle de l’organisation.
On verra comment Bouchard et Ducharme s’acquitteront de leurs nouvelles responsabilités. S’ils obtiennent du succès, le CH, qui n’avait aucune relève derrière le banc, se retrouvera avec deux candidats potentiels. Cela mettra davantage de pression sur Claude Julien et c’est très bien ainsi. Ses résultats n’ont pas été convaincants au cours des dernières saisons. Lui aussi a besoin d’être poussé.
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À l’évidence, Bouchard n’est pas un type banal. À titre de DG d’Équipe Canada junior, il a obtenu des médailles d’or et d’argent. Et ses succès derrière le banc de l’Armada de Blainville-Boisbriand, dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, sont éloquents.
Ce n’est pas tout : Bouchard s’exprime parfaitement dans les deux langues, ses propos sont intéressants et son sens de la formule ne fait aucun doute. Ces caractéristiques feront en sorte que le Rocket retiendra davantage l’attention la saison prochaine. C’est toujours le cas quand une équipe est dirigée par une personne avec du charisme.
Voyez, par exemple, comment Bouchard entend combiner sa première responsabilité, celle de développer des joueurs pour le CH, avec son goût de la victoire : « Aussi longtemps qu’il y aura un tableau de pointage, je vais coacher pour gagner », lance-t-il d’un ton déterminé.
Bouchard a une longue expérience du hockey professionnel mineur, ayant porté les couleurs de six équipes durant sa carrière. « J’y ai joué pour plein de raisons et à tous les âges : parce que je revenais d’une blessure, parce que je n’avais pas assez performé, parce que j’étais un jeune sortant du junior… Alors aujourd’hui, ça me parle de coacher ces gars-là. »
Résultat, il saisit les différentes réalités des joueurs de ce circuit, où la frustration fait partie de la vie puisqu’ils rêvent tous d’être rappelés par le grand club.
« Pas un gars ne pourra me dire que je ne comprends pas sa situation, explique-t-il. Parce que j’ai déjà été à sa place. Je me suis fait “couper”, je me suis fait dire que je devais jouer plus simplement parce que j’essayais de trop en faire, ou que je devais prendre mon temps parce que j’étais encore jeune… »
Après avoir expliqué combien la Ligue américaine propose un calibre relevé, Bouchard fait cette nuance : « Évidemment, Sidney Crosby ne joue pas dans ce circuit. Mais si nos joueurs sont rappelés, ils joueront peut-être contre Sidney Crosby. Alors c’est notre boulot comme entraîneurs de leur donner tous les outils nécessaires. »
Dans la Ligue américaine, les joueurs ne sont pas les seuls à rêver de la LNH : les coachs aussi, et Bouchard ne fait pas exception à la règle.
« Quand tu es entraîneur, tu veux l’être dans la meilleure ligue au monde, soit la Ligue nationale. Et le cheminement dans la Ligue américaine est un apprentissage extraordinaire. Mais je suis un gars qui vit dans le présent, je n’ai pas la tête dans les nuages. »
Cette approche l’a bien servi depuis qu’il a accroché ses patins. Il a diversifié ses expériences au point qu’il aurait pu occuper plusieurs postes avec le Canadien, un phénomène plutôt unique.
Si le parcours de Bouchard nous enseigne quelque chose, c’est qu’il en mènera très large à Laval. Sa forte personnalité en impose déjà. Il deviendra le visage de cette concession, qui n’aura pas de DG la saison prochaine. Cela lui laissera les coudées franches. « Le boss dans la Ligue américaine, c’est le coach », lance-t-il, montrant combien il est à l’aise avec ses nouvelles responsabilités.
Malgré tout, Bouchard demeurera copropriétaire de l’Armada de Blainville-Boisbriand, dont l’actionnaire majoritaire est Québecor. Demeurer proche de son équipe junior était important pour lui, ce qui en dit long sur son sens de la loyauté.
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Au fil des années, j’ai assisté à de nombreuses embauches par nos équipes professionnelles. Mais je ne me souviens pas d’avoir autant pensé, lorsqu’il s’est agi de pourvoir un poste moins élevé dans la hiérarchie comme celui d’entraîneur-chef d’une filiale, que son nouveau détenteur amorçait un long et fructueux séjour au sein de l’organisation. J’ai eu cette impression hier en écoutant Bouchard.
Sa carrière est de toute évidence sur sa lancée. Et un jour ou l’autre, il empruntera la ligne orange du métro pour se rendre au Centre Bell sans avoir besoin d’un billet de retour pour la station Montmorency.