Chronique

Un club-école pour la musique

Les Jeux de la Francophonie ont été imaginés au Sommet de la Francophonie de Québec en 1987. La première édition de ces Jeux a eu lieu en 1989 au Maroc. Et la quatrième, en 2001 à Ottawa. Cette année-là, la ministre Sheila Copps avait décidé qu’il fallait absolument mettre sur pied un orchestre de jeunes pour l’événement. Ainsi naquit l’Orchestre de la Francophonie, l’OF, un rêve de ministre devenu réalité.

La direction de cet orchestre de jeunes musiciens francophones, recrutés à la grandeur du Canada, fut confiée au maestro québécois Jean-Philippe Tremblay. Ce dernier, alors âgé de 23 ans, accepta de relever le défi avec enthousiasme mais sans trop se faire d’illusions, conscient que ce genre de « patente » gouvernementale a généralement une durée de vie limitée, une fois les invités partis.

Mais voilà, nous sommes 15 ans plus tard. Jean-Philippe Tremblay a maintenant 38 ans, un gamin de 2 ans, une carrière de maestro qui n’a pas le panache de celle de Yannick Nézet-Séguin mais qui le fait s’envoler deux fois par mois pour la Chine, le Japon, l’Europe ou l’Amérique du Sud. Et l’OF, qui était à l’époque pour lui un projet intéressant parmi tant d’autres, est devenu SON bébé. Et tout un bébé !

Depuis 15 ans, l’OF a vu défiler 1300 jeunes musiciens de la Francophonie, a donné 300 concerts et a produit 8 albums.

Lundi prochain à la première heure, le maestro sera à la porte du Conservatoire de musique de Montréal pour accueillir la promotion 2016 : une soixantaine de jeunes musiciens dont la moitié sont Canadiens et l’autre moitié provient de France, de Belgique, de Suisse, du Congo, d’Haïti, d’Italie et des États-Unis.

Pour faire partie du club-école de l’OF, quelques critères s’imposent : il faut être âgé de 18 à 30 ans, ne pas être un musicien professionnel employé par un orchestre et être francophone ou francophile. Les auditions ont lieu par l’entremise de YouTube en février et, sur les 300 ou 400 candidats potentiels, une soixantaine sont choisis. Patrimoine Canada leur accorde une bourse de séjour qui couvre toutes leurs dépenses.

Et après, que se passe-t-il ?

D’abord, tout se passe en français, m’informe Jean-Philippe Tremblay. Même ceux qui ne parlent pas le français finissent par le comprendre au bout de six semaines. Mais surtout, pendant six semaines, les jeunes musiciens n’apprennent pas à patiner : ils patinent au sein d’une équipe de hockey qui est un orchestre.

« La plupart étudient déjà à la maîtrise. Ils n’ont plus besoin de pratiquer en solo, mais ils ont besoin de jouer en groupe. C’est la chance que leur offre l’OF à travers une douzaine de concerts à Montréal, mais aussi, cette année, à Lachine, Ottawa, Chicoutimi, Baie-Saint-Paul et dans les Hautes-Laurentides », raconte Jean-Philippe Tremblay avec un enthousiasme et une énergie qui semblent s’être décuplés avec les années.

Mais la démarche de l’OF ne se limite pas à la mécanique du concert. Le maestro, qui s’est lié d’amitié avec le chef d’orchestre Gustavo Dudamel lors d’un programme de mentorat en 2005, est allé à maintes reprises depuis au Venezuela, où la pédagogie sociale et musicale a atteint des sommets avec El Sistema : un programme d’éducation musicale national qui se déploie à travers 30 orchestres et a initié à la musique 300 000 enfants dont la vaste majorité proviennent de milieux défavorisés.

Or, non seulement Jean-Philippe Tremblay a été fortement inspiré par le modèle d’El Sistema, il a aussi initié Hélène Sioui – la femme du pédiatre Gilles Julien et instigatrice du Garage à musique – en l’invitant à l’accompagner au Venezuela alors qu’il dirigeait l’orchestre Simon Bolivar.

Depuis, Tremblay agit à titre de conseiller du célèbre Garage à musique, qui lui doit une fière chandelle. Or, chaque été, chacun des stagiaires de l’OF se rend dans Hochelaga-Maisonneuve pour parrainer pendant une semaine un enfant du Garage à musique.

« Ce que ce contact apporte aux musiciens est incroyable. Je le sens dans leur façon de jouer. Leur jeu est plus ouvert, plus humain. »

— Le chef Jean-Philippe Tremblay

« Notre art a de plus en plus besoin d’apprendre à fonctionner autrement qu’en vase clos, croit le chef d’orchestre. C’est pourquoi j’encourage mes musiciens à s’impliquer et à s’ancrer dans leur communauté et à devenir des ambassadeurs musicaux ET sociaux. »

À l’OF, on se préoccupe de la société, mais on se soucie aussi de l’avenir. C’est ainsi qu’au volet social s’ajoute un volet innovation qui se déploie à la Société des arts technologiques (SAT). Les musiciens y seront en résidence du 20 au 23 juillet pour travailler en atelier avec trois jeunes compositeurs. À la fin de la résidence, ils donneront un concert extérieur avec projections à la place de la Paix, adjacente à la SAT. Tout cela, 15 jours avant le concert anniversaire des 15 ans de l’OF à la Maison symphonique, dont le prix d’entrée sera – comme de raison – de 15 $.

Plus les années passent, plus Jean-Philippe Tremblay se prend au jeu de la pédagogie. Pour l’instant, son club-école ne joue que six semaines par année, mais il rêve du jour où son club se déploiera sur quatre saisons. C’est encore un rêve, mais, comme le prouve l’existence de l’OF, des fois, non seulement les rêves deviennent réalité, mais ils durent longtemps.

Consultez le calendrier des concerts : orchestrefranco.com

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