Cinéma

Plus ou trop de tournages à Montréal ?

La Ville de Montréal et le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec veulent attirer plus de tournages étrangers. Or, dans certains quartiers comme le Vieux-Montréal et le Mile End, des gens trouvent qu’il y en a déjà trop. Bonne nouvelle : il y a des solutions, plaident des directeurs de lieux de tournage.

En novembre, la mairesse Valérie Plante prendra part à une mission économique à Los Angeles avec le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ). Son but : attirer plus de tournages hollywoodiens à Montréal.

« J’aimerais que Valérie Plante voie tout cela avant d’aller à Los Angeles. Elle verrait que c’est une véritable industrie et qu’il faut un appui politique. »

Michèle St-Arnaud est directrice de lieux de tournage (location manager, dit-on en anglais). Mercredi, elle nous a fait visiter le plateau du film américain Midway, qui occupe en grand les studios Mels avec près de 400 artisans québécois. Réalisé par Roland Emmerich, le drame de guerre met en vedette Mandy Moore et Woody Harrelson.

Depuis deux ans, le Québec est près d’atteindre un record en matière de films étrangers tournés à Montréal. L’an dernier, les dépenses totales ont atteint 383 millions.

Or, le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec voudrait atteindre des dépenses de tournages étrangers de l’ordre de 500 à 700 millions, a indiqué à La Presse la commissaire Chanelle Routhier. 

Son équipe courtise notamment les producteurs chinois. Chaque année, le BCTQ tient plusieurs « tournées de familiarisation ». « On fait venir des producteurs étrangers et on leur fait un portrait du territoire, des lieux de tournage et des infrastructures. »

Or, des commerçants, des résidants et des artisans considèrent qu’il y a déjà trop d’équipes internationales et québécoises qui tournent à Montréal. Surtout dans le Vieux-Montréal et le Mile End.

« Je ne peux que me réjouir de la venue de plus de tournages. Le seul problème est que la ville est très petite. S’il fallait que la demande double, ce serait laborieux dans le Vieux. »

— Pierre Blondin, directeur de lieux de tournage 

« L’empreinte d’une production est très large. Il faut des terrains pour stationner les camions », précise-t-il.

« Le Vieux n’est plus ce qu’il était, souligne par ailleurs Mario Lafrance, de la Société de développement commercial du Vieux-Montréal. Il y a entre 500 et 600 commerçants. Il y a 7500 résidants et 40 000 travailleurs. Et le tourisme a beaucoup augmenté. Il faut s’adapter à cette nouvelle réalité. »

La demande dépasse-t-elle déjà l’offre ?

On compte aujourd’hui deux studios de grande envergure à Montréal. Les studios Mels et MTL Grandé, qui a ouvert en 2017. Or, ils « sont pas mal pleins », souligne Chanelle Routhier du BCTQ.

Environ 85 % des tournages réalisés au Québec se font dans le grand Montréal. Le BCTQ voudrait mieux répartir les tournages dans la province. De nouveaux bureaux régionaux ont par ailleurs ouvert récemment à Longueuil, dans Chaudière-Appalaches et dans les Cantons-de-l’Est. « Il y a tellement à offrir, dit Mme Routhier. On cherche à obtenir des crédits d’impôt régionaux. »

Actuellement, il faut que la boîte de production soit située dans la région choisie pour qu’il y ait un avantage fiscal. Ainsi, tourner à l’extérieur de Montréal est coûteux, car les équipes proviennent du 514.

Des moratoires sur les tournages

Aux tournages étrangers s’ajoutent ceux des séries et des films québécois. Dans certains quartiers de Montréal, dont le Mile End, des résidants et des commerçants n’en peuvent plus.

En 2016, un nombre trop élevé de plaintes a forcé le Bureau du cinéma et de la télévision de Montréal (BCTM) à interdire les tournages dans un certain quadrilatère.

Le Mile End fait toujours « l’objet d’un moratoire », confirme Thomas Ramoisy, directeur Cinéma, festivals et événements à la Ville de Montréal.

« L’un des problèmes est que c’est souvent à la dernière minute, note Jimmy Zoubris de l’Association des gens d’affaires du Mile End. On prend beaucoup d’espace pour trop de temps. La rue est fermée deux jours, mais on n’y tourne que six heures. Chaque fois qu’on appelle la Ville ou le Bureau du cinéma, il n’y a personne pour régler cela et venir sur place », déplore-t-il.

Dans le cas des séries québécoises, les tournages se confirment souvent à la dernière minute, car les épisodes ne sont pas toujours écrits d’avance. Résultat : les équipes de tournage retournent plusieurs fois à un même endroit au lieu de s’y installer pour un moment.

À la SDC du Vieux-Montréal, Mario Lafrance comprend que les tournages cinématographiques sont un outil de développement économique. « Or, cela va devoir être géré avec un niveau d’efficacité amélioré. »

Le BCTQ bâtit justement « un chantier de live action pour assurer un suivi de service à la clientèle, annonce Chanelle Routhier. On tient à ce que les citoyens soient derrière notre industrie ».

De son côté, la Ville de Montréal veut multiplier les rencontres existantes pour les grands tournages qui nécessitent des fermetures de rues ou des cascades. Sont alors réunis autour d’une même table des représentants de différents services municipaux. « La production Midway, par exemple, a exigé des rencontres de coordination pour le tournage à l’hôtel de ville », indique M. Ramoisy.

C’est après l’une de ces rencontres que l’équipe de la série Jack Ryan a fermé le boulevard René-Lévesque le mardi soir 2 mai plutôt que la veille, comme prévu. « Les policiers nous ont dit qu’il y avait la manifestation de la fête des Travailleurs », raconte Michèle St-Arnaud.

« Plus on fait du travail en amont, moins les tournages ont des répercussions négatives, fait valoir la directrice des lieux de tournage. J’ai déjà organisé des valet parkings pour aller stationner l’auto des gens. »

— Michèle St-Arnaud, directrice de lieux de tournage

Comme directrice de lieux de tournage, Michèle St-Arnaud dit avoir un rôle de « diplomate ». « Notre métier se développe. On a beau être engagés par des producteurs, nous sommes là pour faire respecter des ententes qu’on prend avec des gens et la Ville. Le lien de confiance se fait avec moi […]. Je dis souvent aux producteurs que je prépare leur prochain film. »

Michèle St-Arnaud a une équipe d’assistants qui protègent les lieux d’origine où ont lieu les tournages. « C’est notre ressource et il faut la protéger. Quand je pars, c’est pareil ou mieux que c’était. »

Plus d’ouverture

Son collègue Pierre Blondin plaide pour une plus grande accessibilité des lieux. À Westmount et à Outremont, par exemple, l’obtention d’un permis de tournage est très difficile. « Quand j’essuie un refus, je ne comprends pas, car on ne coûte rien. On paie pour tout et c’est une opération à coût nul. La ville de Montréal est petite, donc tout ce que l’on a devrait être plus accessible. »

Quand Pierre Blondin a vu la scène d’ouverture du film de la série James Bond 007 Spectre, tournée en Italie, il s’est dit : « Je ne sais pas si je pourrais faire une scène de cette envergure à Montréal. »

« J’étais incrédule. Ce n’est pas juste une question d’argent et de négociation. Cela prend une volonté politique […]. Quand un film vient ici, il fait travailler des centaines de personnes. »

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