Des devises alternatives en gestation

L’expérience du demi, la monnaie gaspésienne lancée l’année dernière, qui compte de plus en plus d’adeptes, semble avoir fait germer des idées ailleurs au Québec : plusieurs groupes planchent sur des projets de monnaie locale, rarissimes ici, alors que des dizaines de devises régionales circulent en Europe.

Les quatre responsables du projet « Une monnaie pour Montréal », qui ont organisé une première rencontre en avril, ont rapidement suscité l’intérêt d’une cinquantaine de personnes intéressées à participer à la création de cette devise. Leur groupe Facebook compte près de 400 membres.

Débordés de demandes d’information, ils doivent trouver un local plus grand à chacune de leurs rencontres, toutes les deux semaines.

Depuis le printemps, un groupe formé à Québec a déjà tenu plusieurs rencontres, auxquelles ont assisté 250 personnes. Un autre a vu le jour à Sherbrooke en juin ; un participant a évoqué le nom « sher » pour une éventuelle devise estrienne.

La question est à l’ordre du jour du Forum social mondial, qui s’ouvre demain à Montréal : plusieurs rencontres sont prévues pour permettre aux promoteurs de monnaies locales de plusieurs pays de partager leur expérience.

« Il y a beaucoup d’intérêt pour les monnaies locales complémentaires parce que les gens remettent en question le système monétaire et financier. Surtout depuis la crise de 2008, puisqu’on ne semble pas en avoir tiré de leçons. »

— Philippe Derudder, auteur, conférencier et consultant sur les monnaies locales

L’ex-homme d’affaires français, maintenant établi à Sainte-Adèle, dans les Laurentides, a participé en 2010 au lancement de la première monnaie locale française, l’abeille, à Villeneuve-sur-Lot, dans le sud-ouest du pays. Il a également agi comme conseiller pour la moitié de la trentaine de monnaies alternatives qui circulent en France.

Depuis son installation au Québec, il tente de lancer une monnaie laurentienne avec une petite équipe de bénévoles.

Il a aussi donné des conférences et conseillé presque tous les groupes au Québec qui s’intéressent à la question.

LE DEMI SE PROPAGE

Les responsables du demi, devise gaspésienne créée en coupant en deux un billet de 20 $, sont aussi sollicités pour partager leur expérience. Un an après son lancement, le demi est maintenant accepté dans au moins une vingtaine de commerces de la péninsule, qui se sont inscrits sur une carte interactive pour signifier leur appui à cette initiative pour encourager l’achat local.

Difficile de connaître le nombre d’adeptes puisque, contrairement aux autres monnaies locales, il n’y a pas de groupe qui s’occupe de sa gestion. N’importe qui est libre de couper ses billets en deux.

« Ç’a été lancé un peu à la blague, mais c’est parti en fou ensuite, explique l’un des instigateurs, Martin Zibeau. Notre but était de susciter des questions sur l’économie et il a été atteint. Les gens en discutent entre eux. Ça leur fait prendre conscience de ce que chacun peut faire pour contribuer à l’économie de la région. »

FIERTÉ JOHANNOISE

La monnaie johannoise, qui circule à Saint-Jean-de-Dieu, village de 1650 habitants des hautes terres du Bas-Saint-Laurent, contribue réellement à stimuler l’économie locale, selon le directeur général de la municipalité, Daniel Dufour.

« Les citoyens sont fiers de l’utiliser, et nos commerces ont vu croître leur chiffre d’affaires. »

— Daniel Dufour, directeur général de Saint-Jean-de-Dieu

Les gens d’affaires encouragent sa circulation : par exemple, la plus importante entreprise de Saint-Jean-de-Dieu, le fabricant de portes et fenêtres Bélisle, accorde aux résidants 5 % de rabais, qui leur est remis en devise locale, donc à être dépensé dans les autres commerces du village.

La monnaie johannoise est sans doute la doyenne des monnaies locales au Québec : elle a été lancée en 2004, en collaboration avec la chambre de commerce et la caisse Desjardins du village.

Pendant plus de 10 ans, la municipalité remboursait aux nouveaux arrivants la taxe de mutation immobilière (la taxe de bienvenue) en monnaie johannoise. Chaque nouvelle famille se retrouvait avec environ 350 $ à dépenser dans les commerces locaux.

Mais Saint-Jean-de-Dieu a mis fin à cette pratique il y a quelques mois : le ministère des Affaires municipales lui a rappelé que c’était illégal de rembourser la taxe de mutation.

« Nous sommes en réflexion pour trouver comment assurer la circulation de notre monnaie dans l’avenir, mais il n’est pas question de la faire disparaître », souligne Daniel Dufour.

INSPIRATION ÉTRANGÈRE

Le groupe « Une monnaie pour Montréal », né dans le quartier Villeray, compte profiter du Forum social mondial pour s’inspirer d’expériences étrangères et faire avancer son projet.

« On a beaucoup de réflexion à faire sur des aspects techniques ou même sur le nom de la monnaie », explique Hamid Maïza, l’un des responsables du projet, qui est aussi vice-président de l’Accorderie de Montréal, un réseau d’échange de services où les membres mettent en banque des heures, qui servent à faire des transactions en marge du système monétaire.

La monnaie pourrait être lancée dans un an ou deux. « On se donne du temps pour prendre les bonnes décisions », dit M. Maïza.

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