Chronique

Cette étrange conception du changement

Vouloir du changement. Mais voter surtout pour que tout reste pareil et plus monochrome. Voilà à mon sens une conception bien étrange du changement. Une conception qui révèle de troublants paradoxes.

« Les Québécois ont choisi l’espoir d’un gouvernement porteur d’un changement positif », a dit François Legault hier soir dans son discours de la victoire. Mais de quel changement parle-t-on exactement ?

On dit, après un été caniculaire, que l’environnement est l’enjeu le plus important, mais on met au pouvoir la Coalition avenir Québec pour qui, quoi qu’en dise son nom, l’avenir de la planète ne semble pas être une priorité.

On applaudit comme un héros l’ex-ministre français de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot lorsqu’il démissionne avec fracas en disant que l’heure est grave et qu’il faut changer de paradigme, mais on regarde comme le péril rouge la percée de Québec solidaire, le seul parti qui propose une remise en question de ce même paradigme.

On se plaint d’une pénurie de main-d’œuvre en région, mais on élit un parti qui veut fermer la porte à des immigrants qui ne demandent pourtant pas mieux que de travailler.

Un parti qui dit vouloir « en prendre moins, mais en prendre soin », mais qui, curieusement, n’a prévu aucun budget additionnel pour la francisation et l’accueil. Qu’a-t-il donc prévu pour mettre en œuvre ce grand changement ? Des tests de français et de valeurs conçus à l’origine pour renvoyer dans leur pays les immigrants dont on ne voudra plus. Voilà une définition pour le moins originale de « prendre soin ».

On rêve de plus belles écoles, mais on met au pouvoir un parti qui promet d’investir dans la construction et la rénovation d’écoles moins d’argent que ses prédécesseurs libéraux, tout en s’engageant à implanter de nouvelles classes de maternelle 4 ans dans des écoles déjà surpeuplées et en décrépitude. Cherchez l’erreur…

Cohérent, tout ça ? Pas tellement.

***

J’aurais espéré que ces élections soient celles qui prouvent qu’au Québec, on ne peut pas gagner ses élections sur le dos des minorités. Alors que François Legault partait grand gagnant dans les sondages au début de la campagne, ces mêmes sondages nous disaient qu’il s’était mis à perdre des points au moment où il multipliait les gaffes au sujet de l’immigration.

On ne s’attend pas à ce qu’un chef de parti soit un champion de Génies en herbe ou qu’il sache tout sur tous les sujets. Mais on peut s’attendre raisonnablement à ce qu’il maîtrise les dossiers qu’il a lui-même mis au cœur de son programme. Or, en matière d’immigration, M. Legault a lamentablement échoué à son propre test, donnant l’impression qu’il avait improvisé ses promesses sans trop réfléchir, simplement pour appâter l’électorat.

On croyait que ces bévues étaient susceptibles de lui faire perdre sa majorité. Cette tentative peu subtile d’exploiter la peur de l’immigration avec des tests de valeurs, des menaces d’expulsion et une incapacité à appuyer ses propositions sur des faits…

Mais ce que ces élections semblent plutôt montrer, si on en doutait encore, c’est qu’on ne peut pas se fier aux sondages. Et qu’utiliser la peur pour manipuler l’opinion publique, au mépris des faits, trop souvent, malheureusement, ça marche.

En juin dernier, un sondage publié par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) indiquait que les Québécois craignent davantage l’immigration que la pollution, la moitié d’entre eux associant l’arrivée d’immigrants au pays à un « grand », voire à un « très grand » risque. Sachant qu’il y a un consensus scientifique au sujet du péril climatique alors que le péril migratoire repose essentiellement sur un consensus populiste, on aurait pu espérer que les faits l’emportent sur les perceptions. Mais on n’en est malheureusement pas là.

Bien sûr, le chef caquiste a fini par s’excuser pour certaines de ses erreurs en matière d’immigration, et c’est tout à son honneur. Mais les excuses passent et les dommages restent. Traiter d’un dossier aussi complexe de façon aussi irresponsable, en parlant constamment de l’immigrant comme d’une menace ou d’un problème, au mépris des faits, n’est pas sans conséquence.

Dans son discours hier soir, M. Legault a parlé de « l’esprit de rassemblement » dans lequel il a l’intention de gouverner pour « tous les Québécois ». Il lui reste maintenant à prouver qu’il n’y a pas deux classes de citoyens et que le changement « positif » le sera réellement pour tous.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.