Personnalité de la semaine

Gilles Brassard

L’informaticien Gilles Brassard vient de réaliser tout un tour de force. Ses recherches portant sur la téléportation de particules élémentaires, un concept fondamental en cryptographie quantique, ont récemment fait de lui le premier Canadien à recevoir le prestigieux prix Wolf de physique. M. Brassard est notre personnalité de la semaine.

Ceux qui étaient au spectacle de Luc Langevin, jeudi soir dernier à Laval, ont eu droit à une scène quand même sympathique.

Pour présenter son numéro de « téléportation », l’illusionniste québécois a choisi (d’avance) un volontaire dans la foule qui n’avait rien d’ordinaire. Il a choisi l’informaticien Gilles Brassard, notre personnalité de la semaine, le lauréat tout récent du prix Wolf de physique – « la médaille d’argent si le Nobel est la médaille d’or » –, premier Canadien à recevoir ce prix dans cette catégorie, un homme dont une des nombreuses contributions à la science est d’avoir co-inventé la théorie de la téléportation quantique.

« Il m’a téléporté sur une distance de quelques mètres, devant plusieurs centaines de personnes médusées, incluant Claude Crépeau, qui est l’autre inventeur québécois de la théorie de la téléportation quantique », a-t-il raconté au lendemain de l’événement. « Je suis entré dans un coffre-fort et suis ressorti d’un autre sans que moi-même ou Claude Crépeau ayons la moindre idée de par où je suis passé ! »

Vous vous doutez bien que M. Brassard n’a pas réellement été déplacé par téléportation comme les personnages de Star Trek.

Ni M. Brassard ni Luc Langevin ne contrôlent une machine qui permettrait de dire « Beam me up », comme dans la célèbre série de science-fiction.

Mais il est totalement vrai, toutefois, que M. Brassard, il y a 25 ans, a co-inventé une théorie expliquant comment la téléportation est possible.

Et à cet égard, le clin d’œil de M. Langevin était génial.

Toutefois, Gilles Brassard n’a encore rien découvert sur la téléportation d’humains.

Sa découverte à lui concerne d’abord et avant tout la téléportation de particules élémentaires, un concept crucial en cryptographie quantique, sa spécialité.

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Originaire d’Ahuntsic, élevé à Villeray où il a grandi dans une famille de cinq enfants, Gilles Brassard, 63 ans, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en informatique quantique à l’Université de Montréal, nage depuis toujours dans l’univers des mathématiques. Il n’est pas physicien, mais ce qui l’intéresse, ce sont les atomes et les particules élémentaires.

La téléportation dont il parle correspond, grosso modo, au transfert à distance d’information sur des particules, qui changent par le fait même d’avoir été abordées pour ce processus. Pour que l’information puisse passer d’une particule à une autre, arbitrairement lointaine, les lois de la physique requièrent qu’elle soit effacée de la particule originale. C’est pour cela qu’on parle de « téléportation ». Vous me suivez ?

Et voyez-vous comment cela est intéressant dans le monde de la cryptographie, de la sécurisation d’information ?

Cette percée a eu lieu, explique-t-il, « dans [s]on bureau, en 1992, à l’Université de Montréal ». Il n’était pas seul. Il y avait aussi Charles Bennett, un des grands physiciens américains, lui aussi lauréat du prix Wolf, qui avait rencontré M. Brassard dans un événement scientifique quelque temps auparavant.

C’est avec lui notamment, et aussi avec Claude Crépeau, un autre informaticien aujourd’hui à McGill, que le chercheur a fait ses découvertes.

Parler avec Gilles Brassard n’est pas de tout repos, intellectuellement. Les concepts qui lui sont familiers sont extrêmement complexes. Les simples mots « physique quantique » font peur. Mais la réalité dont on parle, celle de ces particules élémentaires qui ont la propriété de changer dès qu’on s’en préoccupe – d’où leur importance en cryptographie, l’art de garder les choses secrètes –, et dont le potentiel de transmission d’informations est plus grand que celui des signaux actuellement à la base de nos ordinateurs, est la fondation de ce qui nous attend demain. L’univers quantique, c’est la prochaine frontière en informatique, notamment. Une frontière qui n’est pas loin. En Chine, on travaille déjà à grande échelle avec la cryptographie quantique. Et la téléportation ne sera peut-être pas là demain, mais elle viendra, dans un avenir pas si lointain, pour permettre à cette cryptographie quantique d’être transportée à grande distance.

Et l’ordinateur quantique ? On ne sait pas quand il sera réalisé. Mais ce jour-là, toute la sécurité actuelle sur l’internet sera automatiquement désuète, car nous savons l’utiliser pour résoudre efficacement les problèmes de calculs présumés intraitables par les ordinateurs classiques, en particulier ceux qui sont au cœur de la sécurité présumée de l’internet.

Fou, tout ça ?

« Maintenant que [s]es théories sont établies », maintenant que le prix Wolf lui a accordé une crédibilité encore plus importante, Gilles Brassard travaille « sur des choses encore plus flyées », dit-il.

Est-on étonné, sachant cela, d’apprendre qu’il est entré à l’université à 13 ans ? Que tout jeune, il adorait les maths, que son frère aîné Robert lui apprenait, et vivait plongé dans les livres de science-fiction ? Qu’il est devenu professeur à l’Université de Montréal à 24 ans, après avoir obtenu un doctorat à Cornell, aux États-Unis ? Que son CV est rempli de prix et d’honneurs ? Que son nom circule parfois quand on parle du prix Nobel de physique ?

Et que s’il a un message à lancer aux jeunes, aux jeunes femmes en particulier, c’est tout simplement : « Vive la science » ?

Gilles Brassard en quelques choix

Un livre

Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry

Un film

2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick

Des personnages historiques

Archimède, « le plus grand savant », et Isaac Newton

Un personnage contemporain

Albert Einstein

Une phrase

« L’imagination est plus importante que la connaissance. » 

— Albert Einstein

Une cause qui le ferait descendre dans la rue

« Promouvoir l’intérêt chez le grand public envers l’importance et la beauté de la science. » Et sur sa pancarte, il serait écrit : « La science est au cœur de notre vie ! »

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