signes religieux chez les agents de l’État

J'endosse toujours la proposition du rapport Bouchard-Taylor

Mon collègue Charles Taylor vient d’annoncer qu’il n’endossait plus la proposition de notre Rapport concernant le port des signes religieux chez les agents de l’État exerçant un pouvoir de coercition. J’aimerais dire d’abord que je respecte évidemment cette décision qui, du reste, ne m’a pas surpris. Charles avait déjà annoncé assez clairement sa réorientation dans un livre publié avec Jocelyn Maclure en 2010 (Laïcité et liberté de conscience, p. 61-63).

Pour ma part, j’endosse toujours cette proposition. M. Couillard dit la rejeter pour une question de principes, alors qu’elle est justement fondée sur un principe : garantir que les agents autorisés à infliger une violence physique à des citoyens soient mis à l’abri de toute apparence de partialité. Le but est donc d’accroître la crédibilité de ces agents exerçant une fonction tout à fait exceptionnelle.

J’endosse cette proposition aussi parce que des juristes consultés en 2008 assuraient qu’elle se défendait bien sur un plan juridique. Nous sommes loin d’une attaque directe contre les musulmans ou du projet de charte des valeurs, comme on l’a prétendu.

M. Couillard justifie également son désaccord en arguant de son aversion pour toute forme de « discrimination vestimentaire ». Réalise-t-il qu’il se place ainsi en contradiction flagrante avec son projet de loi 62 qui interdit de recevoir ou de rendre un service de l’État à visage couvert ?

Charles Taylor nous informe que son intervention poursuivait deux objectifs, d’abord faire obstacle à la formation d’un consensus qu’il rejetait, ensuite éviter le retour à des débats émotifs susceptibles de déraper et de blesser des Québécois (« Ne rouvrons pas les plaies »). Le premier but a été manifestement atteint. Mais il en va différemment avec le deuxième.

On peut même craindre un effet contraire à celui qui était recherché à cause, précisément, de l’échec du projet de consensus. Les jeux sont à nouveau ouverts.

Il est probable que le PQ et la CAQ voudront maintenant reprendre leurs billes. Le débat sur les signes religieux est relancé au moins jusqu’aux prochaines élections et peut-être au-delà.

Dans l’intervention de mon collègue, je relève un autre paradoxe. Elle était placée sous le signe de la réconciliation alors même qu’elle a contribué à mettre en échec celle qui émergeait entre les partis politiques et qui a été rendue possible parce que d’importants éléments de consensus étaient présents dans la population.

Le Québec risque d’être une autre fois enfoncé dans l’âcre querelle qui le divise depuis une quinzaine d’années. Au milieu de ces affrontements, cependant, la formule proposée dans notre Rapport s’était progressivement posée, aux yeux de nombreux Québécois, comme l’assise à partir de laquelle on pourrait ériger un consensus. Cet horizon est maintenant compromis. Mais c’est peut-être partie remise.

Cela dit, quand on parlait du modèle Bouchard-Taylor, on se référait uniquement à la question des signes religieux chez les agents de l’État exerçant une fonction coercitive. Or, notre Rapport contient aussi toute une série de propositions relatives à l’intégration des immigrants et des membres des minorités. Chacun peut constater qu’elles gardent toute leur pertinence.

Une suggestion

Prolongeant des propositions déjà formulées dans les pages de La Presse+ (chronique d’Alain Dubuc le 11 février, éditorial de François Cardinal le 15 février), j’en viens donc à une suggestion qui me paraît de nature à faire avancer le Québec malgré les dissensions persistantes sur les signes religieux.

Puisque la conjoncture favorable à une entente s’est défaite, il semble avisé d’œuvrer maintenant énergiquement à d’autres tâches pressantes, par exemple : lutter contre la discrimination, réduire le sous-emploi chez les immigrants, promouvoir les rapprochements interculturels axés sur l’ouverture des barrières et la destruction des stéréotypes, vider enfin le panier de crabes des accommodements (qui posent toujours un gros problème pour les deux tiers des Québécois) et, bien sûr, poursuivre la francisation, ce défi permanent.

Le gouvernement de M. Couillard, il faut s’en réjouir, semble justement vouloir se montrer désormais plus actif dans cette direction.

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