L’après-Weinstein n’épargne pas Bill Clinton
New York — Ils devaient se rencontrer au café de l’hôtel où elle s’était arrêtée. À la dernière minute, il l’appelle pour lui demander s’il peut plutôt aller la rejoindre dans sa chambre, histoire d’éviter les journalistes, nombreux dans le lobby. Elle accepte.
À peine arrivé dans la chambre, il tente de l’embrasser, puis lui mord la lèvre supérieure avec violence. Elle le repousse, mais ignorant sa résistance, il la projette sur le lit et la viole. Avant de partir, il remet ses lunettes de soleil et lui conseille de demander de la glace pour dégonfler sa lèvre tuméfiée.
Cette scène de viol ne fait pas partie des agressions sexuelles présumées de Harvey Weinstein. Elle correspond en fait à une accusation formulée publiquement pour la première fois en 1999 par Juanita Broaddrick contre Bill Clinton. Une accusation sur laquelle plusieurs médias américains et certaines féministes jettent aujourd’hui un nouveau regard.
« Je crois Juanita », a titré le New York Times lundi au-dessus d’un texte signé par l’une de ses nouvelles chroniqueuses, Michelle Goldberg, dans lequel cette journaliste féministe arrive à la conclusion suivante.
« Il est juste de dire qu’en raison des allégations de Broaddrick, Bill Clinton n’a plus de place dans une société décente. »
— Extrait de la chronique de Michelle Goldberg, publiée dans le New York Times
Les nouveaux critiques de l’ancien président démocrate dénoncent également sa liaison sexuelle avec Monica Lewinsky, une ancienne stagiaire de la Maison-Blanche.
« Bill Clinton aurait dû démissionner », a écrit mercredi Matthew Yglesias, journaliste au site Vox et ancien collaborateur du Center for American Progress, un groupe de réflexion proche des Clinton. « Si Clinton avait été contraint à la démission, cela aurait envoyé un message dissuasif, utile et fort aux hommes de pouvoir d’un bout à l’autre du pays. »
Khadijah White, professeure de journalisme à l’Université Rutgers au New Jersey, se réjouit et s’inquiète à la fois de l’émergence de ce nouveau regard sur les « crimes sexuels » de Bill Clinton, pour reprendre les mots employés cette semaine par l’hebdomadaire The Atlantic. Bien avant le flot de révélations sur Harvey Weinstein, elle écrivait sur le « problème » que représentaient les scandales sexuels de l’ex-président démocrate pour son parti et ses alliés. Pour autant, elle ne voudrait pas que le cas Clinton aide aujourd’hui Roy Moore à se faire élire comme sénateur de l’Alabama ou Donald Trump à faire oublier ses propres transgressions.
« Je suis contente que le Parti démocrate tente enfin de faire face à la réalité concernant Bill Clinton. Les gens plus progressistes ont souvent évité le sujet en raison de leur solidarité envers Hillary Clinton et de leur désir de ne pas la gêner », dit à La Presse Khadijah White.
« Mais je ne suis pas complètement contente de la façon dont ça arrive. Donald Trump avait également tenté de détourner l’attention du public de ses propres histoires d’agressions sexuelles en parlant de Bill Clinton. »
« Aujourd’hui, il est de nouveau question de Bill Clinton au moment où ce qui a tout l’air d’un pédophile brigue [un siège au Sénat], l’une des plus hautes fonctions de notre pays. »
— Khadijah White, professeure de journalisme à l’Université Rutgers
Bill Clinton a toujours nié avoir violé Juanita Broaddrick en 1978. À l’époque, il était ministre de la Justice de l’Arkansas et avait 31 ans. Son accusatrice, alors âgée de 35 ans, était une infirmière qui travaillait en tant que bénévole pour sa campagne au poste de gouverneur de son État natal. Peu après le viol présumé, elle en avait parlé à cinq personnes, dont deux le jour même.
Elle devait cependant nier dans les années 90 avoir été agressée par Bill Clinton dans une déclaration sous serment. Déclaration qu’elle avait expliquée plus tard par son désir de rester dans l’anonymat.
Paula Jones et Kathleen Willey ont également accusé l’ancien président d’inconduite sexuelle. Quant à Monica Lewinsky, elle a toujours insisté sur le fait que sa relation avec Bill Clinton avait été consensuelle. Ce qui ne dédouane pas l’ancien président aux yeux de Khadijah White, qui a été elle-même stagiaire à la Maison-Blanche pendant la présidence de Barack Obama.
« Le fait d’avoir été stagiaire à la Maison-Blanche m’a permis de comprendre de façon encore plus claire la situation, l’accès accordé à certaines parties de l’aile Ouest, l’admiration que vouent au président tous ceux et celles qui travaillent pour lui. Cela m’a fait comprendre encore davantage à quel point l’abus de pouvoir de Bill Clinton sur Monica Lewinsky était flagrant. »