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La renaissance des balados

Depuis le succès phénoménal de Serial, les balados (podcasts) connaissent un regain de popularité. Humour, sport, actualité, fiction… Les projets se multiplient, les auditeurs aussi. Assiste-t-on à un nouvel âge d’or de la création radio ?

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La renaissance des balados

Samedi dernier, Jean-Philippe Wauthier et ses comparses animaient La soirée est (encore) jeune devant un public en délire, à Gatineau. La populaire émission était l’invitée du festival Transistor, un événement consacré à la radio numérique et à la baladodiffusion. Au programme de cette première édition : tables rondes, entrevues et, surtout, enregistrements en direct de plusieurs balados québécoises – Ça ou ça, 3 bières, Les dérangeants… – devant un public enthousiaste.

Pour ceux qui n’auraient aucune espèce d’idée de ce qu’est une balado, disons que c’est une création radio, audio (ou vidéo) plus « nichée » qu’une émission de radio traditionnelle et qui peut prendre plusieurs formes : fiction, émission d’affaires publiques, entrevue, documentaire…

Ce format a tout pour plaire. On peut l’écouter quand on veut et où on veut, il suffit de télécharger un fichier sur son ordinateur, son téléphone ou son iPod.

Mais il y a plus que la flexibilité pour expliquer le succès grandissant de la balado : c’est que le format est aussi synonyme de créativité et de liberté.

« La balado fait éclater le conservatisme de la radio », observe Julien Morissette, créateur du festival Transistor avec Steven Bonin, et réalisateur de trois balados dont la très originale Labrosse-Wellington. « C’est aussi une façon d’aller rejoindre un auditoire plus jeune, estime celui qui rêve de faire de Gatineau la capitale de la radio numérique au pays. J’y vois un retour aux sources. On veut redonner ses lettres de noblesse à l’audio, au son. »

« Il y a un petit côté expérimentation à la balado », note pour sa part Marie-Claude Beaucage, réalisatrice au développement et à la conception à ICI Radio-Canada Première. La jeune femme, qui a collaboré à la création de plusieurs émissions de la Première Chaîne comme Plus on est de fous, plus on lit ! et La soirée est (encore) jeune, est à l’affût des nouvelles tendances en radio. L’été dernier, elle réalisait Vos vedettes sur le gril, une balado enregistrée dans le parc Molson et animée par Jean-Sébastien Girard et Fred Savard.

« Avec la balado, on ne s’inscrit plus dans une grille horaire, on n’est pas contraint à une durée fixe. Il y a une liberté dans le ton, dans le montage, qu’on ne retrouve pas à la radio conventionnelle. »

— Marie-Claude Beaucage, réalisatrice au développement et à la conception à ICI Radio-Canada Première 

L’effet Serial

Le tournant dans la jeune histoire des balados : le succès phénoménal de Serial, un feuilleton de journalisme d’enquête réalisé par l’équipe de la très populaire émission This American Life (NPR) et dont les deux saisons ont été téléchargées au total 250 millions de fois (!) depuis 2014. La suite, S-Town, lancée il y a quelques semaines, a été téléchargée 10 millions de fois au cours de la première semaine seulement.

Depuis, ICI Radio-Canada Première a lancé sa plateforme Première Plus (voir dernier onglet) et partout, les projets de balados se multiplient. Tout le monde veut avoir la sienne : du Washington Post au journal Les Affaires, des anciens collaborateurs de Barack Obama à Marie-France Bazzo, en passant par les organismes culturels, les sites de santé, les radios communautaires, les compagnies de théâtre, etc. Ils ont tous expérimenté ce format.

Autre preuve de cet engouement généralisé : The Daily, la balado quotidienne du New York Times, lancée l’hiver dernier et qui fait le point sur l’actualité en 20 minutes, a été téléchargée ou regardée en continu au total 20 millions de fois en moins de trois mois. Le quotidien a annoncé cette semaine qu’il allait se lancer lui aussi dans la production de balados à grand déploiement dans le style Serial

Au Canada, Jesse Brown est un pionnier de la baladodiffusion et son podcast Canadaland est un des plus populaires au pays. Le scoop sur l’affaire Jian Ghomeshi, c’est lui (ironiquement, l’ancien animateur-vedette de la CBC fait un retour à la vie publique ces jours-ci avec sa propre balado, The Ideation Project).

Brown constate lui aussi un regain d’intérêt pour cette forme radiophonique. « Les jeunes écoutaient déjà des émissions comme This American Life ou Radiolab, dit-il. Serial a rendu ça mainstream, et maintenant, ce sont les parents qui découvrent les balados et qui demandent : “Où peut-on écouter ça ?” »

Un Serial québécois ?

Et au Québec ? Disons qu’ici, la popularité des balados est plus modeste, même si tout le monde reconnaît que « l’effet Serial » s’est fait ressentir. « Il se passe quelque chose sur le web, confirme Michel Grenier, gérant de l’humoriste Mike Ward et coproducteur de la balado vidéo Mike Ward sous écoute, une pionnière dans le genre. Créée en 2009 par l’humoriste, un vrai geek, enregistrée devant le public du bar Le Bordel depuis un an et demi, c’est la balado la plus populaire au Québec avec une moyenne de 50 à 75 000 téléchargements par semaine et des pics pouvant grimper jusqu’à 175 000. « À mon avis, ça risque de tuer la radio et la télé, croit Grenier. C’est devenu l’endroit où tu peux parler sans filtre et en toute liberté. »

Pour l’instant, les balados québécoises les plus populaires sont humoristiques ou sportives. On attend encore LE Serial québécois, LE projet qui fera en sorte que ça décolle vraiment. Il pourrait venir de Magnéto, une boîte de création fondée par une bande de jeunes passionnés de la création audio qui figurent sur la liste des « 50 Québécois qui créent l’extraordinaire » du magazine Urbania (qui, soit dit en passant, vient de lancer une série de balados en collaboration avec Radio-Canada). Fondée en août dernier, Magnéto est une boîte de création, de production, et souhaite aussi devenir une plateforme de diffusion.

Quel modèle d’affaires ?

Reste à répondre maintenant à la question qui tue : comment financer les projets de balados ? À l’heure actuelle, il n’existe pas un mais plusieurs modèles d’affaires.

Aux États-Unis, Gimlet Media, qui produit les balados parmi les plus populaires de l’heure, finance ses projets par la publicité.

« Aux États-Unis, le tarif pour les balados se situe entre 18 $ et 25 $ les 1000 auditeurs, selon si la publicité est présentée en début ou en milieu d’émission, explique Michel Grenier, coproducteur de la balado Mike Ward sous écoute. Nous, on peut compter sur 10 à 15 commanditaires. Quand ils annoncent chez nous, ils voient l’effet direct de leur placement, car on s’adresse à un public 100 % intéressé par l’humour. »

Avec ses 35 000 téléchargements par semaine, Jesse Brown dit que la publicité représente le tiers de son financement. « Les annonceurs canadiens commencent à se réveiller », observe-t-il. Le reste de la balado est financé par les auditeurs eux-mêmes par le truchement d’une plateforme de sociofinancement. 

« Mon auditoire est majoritairement canadien, concentré en Ontario. Ils donnent de l’argent, car ils veulent que notre critique des médias soit écoutée par le plus grand nombre. »

— Jesse Brown, animateur du podcast Canadaland

Cette formule n’est toutefois pas à la portée de tous à cause de la petite taille du marché québécois, estime Marie-Laurence Rancourt, cofondatrice de Magnéto.

La jeune femme et ses collègues – qui se financent avec leur volet production et les bourses offertes grâce à leur statut d’OSBL – viennent de décrocher une bourse de 90 000 $ du Conseil des arts pour poursuivre leur projet Grand Nord, une création multimédia qui allie création audio, poésie, performance, exploration du territoire, etc.

Contrairement à la télé, la radio ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale qui lui est destinée, une réalité qui pourrait changer très prochainement, nous dit-on, grâce à l’intérêt du gouvernement Trudeau pour le numérique.

« L’enjeu, c’est la découvrabilité, note Marie-Laurence Rancourt. Comment retrouver les productions quand il y en a des milliers un peu partout sur le web. Il faut quasiment les connaître pour les trouver ou se fier au bouche-à-oreille. Celui ou celle qui va résoudre ce problème-là va faire beaucoup d’argent. »

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