« Chacun surveillait l’autre »

Le Canadien était stimulé par la présence des Nordiques, rappelle Michel Bergeron

Michel Bergeron et les Nordiques de Québec ont secoué le Canadien au printemps 1982 en les éliminant en cinq matchs grâce à un but de Dale Hunter.

Mais cette nouvelle équipe de Québec a aussi forcé la sainte flanelle – comme on l’appelait à l’époque – à se renouveler. Qui sait si Montréal aurait remporté la Coupe Stanley en 1986, puis en 1993, sans l’arrivée des Nordiques ?

Il arrive à l’ancien coach des Nordiques de se demander si le Canadien actuel serait dans un tel pétrin si les Nordiques existaient encore.

« Le Canadien était dirigé par le directeur général Irving Grundman et l’entraîneur Bob Berry quand on l’a éliminé en 1982 », raconte Bergeron, analyste à TVA Sports depuis plusieurs années.

« Quatre des cinq joueurs qui étaient sur la glace sur le but de Dale Hunter en prolongation ont été échangés quelques mois plus tard. Doug Jarvis, Craig Laughlin, Rod Langway et Brian Engblom sont passés aux Capitals pour Ryan Walter et Rick Green. Le seul qui n’a pas été touché est Bob Gainey. Ce n’est pas une coïncidence. C’est sûr qu’ils ne voulaient plus les voir. Ils ont dû regarder ce but-là tellement souvent et analyser la séquence pouce par pouce. Quand j’ai vu cette transaction-là, je me suis dit qu’on leur avait fait mal… »

L’année suivante, le Canadien était éliminé au premier tour, par les Sabres de Buffalo, pour la troisième année consécutive. Fraîchement embauché à titre de président, Ronald Corey a remplacé Grundman par Serge Savard. Bob Berry a cédé sa place peu de temps après à Jacques Lemaire. Non seulement la rivalité prenait son envol, mais le CH se dirigerait vers une 23e Coupe Stanley quelques années plus tard.

Repêchage

Malgré l’excellence des frères Stastny, des Michel Goulet, Dale Hunter et compagnie, les Nordiques n’atteindront même jamais la finale.

« Chacun surveillait ce que faisait l’autre. Là où le Canadien nous a dominés largement dans les années 80, c’est au chapitre du repêchage des joueurs québécois. Pendant que le Canadien repêchait Patrick Roy, Claude Lemieux, Stéphane Richer, Éric Desjardins et Sergio Momesso, nous, on pigeait en Ontario et dans l’Ouest. Nos choix au repêchage, les Trevor Stienburg, Jason Lafrenière, David Latta, Max Middendorf, n’ont jamais percé. On repêchait comme le Canadien le fait depuis cinq ou six ans. »

Bergeron, aujourd’hui âgé de 71 ans, ne se fait pas d’illusions. Il sait que les époques ont changé.

« Le retour des Nordiques pourrait faire une différence, mais à l’époque, il y avait une douzaine de Québécois dans chaque équipe. On ne reverra plus jamais ça. C’étaient des entraîneurs québécois, des directeurs généraux québécois. »

— Michel Bergeron

« Serge Savard n’aurait jamais accepté que ses alliés ne demeurent pas à Montréal. Comme Maurice Filion n’aurait jamais toléré que je parte pour la Floride ou Chicago après la saison. Tous mes assistants demeuraient à Québec. Maintenant, regarde l’organisation du Canadien. Combien restent à Montréal pendant l’été ? Quand on avait du succès en séries, on passait le plus bel été au monde. Quand on perdait, c’était l’enfer. »

Erreurs

Bergeron reste souvent perplexe devant les décisions du DG Marc Bergevin. « Il a été mal entouré, mais c’est lui qui a décidé d’être mal entouré. Il n’a fait appel à personne du Québec. C’est notre religion, c’est notre monde, mais il a été chercher ses chums qu’il a connus à Chicago. On dirait que Marc paye ses dettes, je ne sais pas pourquoi. Même Martin Lapointe, il a fait sa carrière à l’extérieur et il ne demeure pas au Québec. J’estime beaucoup Martin, mais il fait partie des chums. Personne ne les connaît. Mets-les sur la rue Sainte-Catherine, et personne ne va les reconnaître. »

Les mauvais choix au repêchage et le départ de défenseurs de talent ont nui à l’équipe, estime-t-il. « Il y a eu tellement d’erreurs. Les choix au repêchage sont épouvantables. On a démoli la défense pour aller chercher de gros gars peu habiles. Et on leur a donné des contrats épouvantables. Au départ, j’étais favorable à l’échange de P.K. Subban. Shea Weber avait quand même de la prestance. Il avait de la colonne. Mais aujourd’hui, force est d’admettre que c’est une erreur. On a gagné du temps avec le plan. Pendant qu’on l’annonçait, je pense qu’on cherchait à savoir c’était quoi, le plan. Il reste tellement d’argent à donner à Marc Bergevin et à Claude Julien. »

« Il reste 50 millions US à payer aux gestionnaires. On ne peut pas tous les mettre à la porte. »

— Michel Bergeron à propos de la situation chez le Canadien

Et s’il devait relancer l’équipe ? « Il y a tellement de candidats de choix. Mais il y a deux noms en tête de liste : Patrick Roy et Joël Bouchard. Je ne sais pas dans quel rôle, et je ne pourrais pas choisir l’un plutôt que l’autre, mais je les amènerais à Montréal en position de pouvoir. Et tu peux avoir des conseillers, des Bob Hartley, des Michel Therrien. Comme au baseball. Quand je pense à Joël, je revois ma situation en 1980 à Trois-Rivières. J’avais accédé directement à la Ligue nationale. Lui aussi pourrait faire le saut sans passer par la Ligue américaine. »

Souvenirs

Les Nordiques ont déménagé à Denver en 1995. Ils ne semblent pas près de revenir dans la LNH. Michel Bergeron doit se contenter de vivre dans ses souvenirs. « Je ne pourrai jamais oublier ce silence dans lequel le but de Dale Hunter a plongé le Forum. Les gens étaient debout, ils n’en revenaient pas. Ce Forum mythique ne vibrait plus. Sur le coup, on ne le réalise pas, j’étais juste tellement content d’avoir gagné. C’était notre première victoire en séries dans la Ligue nationale. »

Avant le départ en autocar de Québec à Montréal pour le cinquième et ultime match, Bergeron a sommé ses joueurs de remplir leurs valises. « La série se transportait à Boston si on gagnait le dernier match. Nous étions toujours largement négligés, mais je leur ai dit de s’apporter du linge pour au moins cinq jours, pour la suite. J’ai joué la game du gagnant. Ça faisait partie du plan de motivation. Les gars me regardaient bizarrement quand je leur ai dit d’apporter les vêtements. Quand les gars sont arrivés à l’autocar avec leurs valises, je pense que c’est là que tout le monde s’est mis à y croire. »

Michel Bergeron a dirigé son dernier club en 1990. Il est analyste à la télé depuis. Il ne voit pas le jour où il prendra sa retraite. « J’aime encore beaucoup ça. TVA me traite bien. Les gens m’arrêtent sur la rue pour me parler de hockey. Ça me tient jeune ! »

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