Opinion

Quels soins spirituels pour le Québec ?

Au cours des derniers jours, nous avons appris qu’une vaste consultation sur les services de soins spirituels dans le réseau de la santé avait été mise en branle par le Ministère au mois de mars dernier, et que le mandat de diriger cette consultation avait été confié au CHU de Québec et à son Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale, en collaboration avec la faculté de théologie de l’Université Laval.

Il a également été démontré que notre association professionnelle, l’Association des intervenantes et intervenants en soins spirituels du Québec (AIISSQ), n’avait pas été informée de cette consultation – encore moins invitée à en faire partie –, et ce, malgré les nombreuses communications envoyées au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) mettant en lumière de graves problèmes sur le terrain, dont de sérieux abus spirituels et religieux de la part de plusieurs groupes et individus différents, mais également de grandes disparités au niveau de la formation des intervenants.

À la suite du dossier publié sur le sujet par La Presse le 17 août, la ministre de la Santé, Danielle McCann, a fait part de son « extrême » préoccupation. À court terme, elle a demandé aux différents établissements de santé de la province de revoir les mesures pour éviter ces situations d’abus.

Une place centrale à la religion

Ce que nous comprenons, c’est qu’en choisissant le Centre Spiritualitésanté pour diriger cette consultation provinciale sur notre profession, le gouvernement désire assurer une place centrale à la religion et au système catholiques dans les réflexions ayant pour but de revoir les orientations ministérielles en soins spirituels et d’harmoniser les pratiques régissant le travail des intervenants en soins spirituels (ISS), donc de nos membres.

En effet, d’une part, le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale est directement associé au diocèse de Québec, qui est son partenaire principal. D’autre part, il nous faut souligner le fait que la faculté de théologie de l’Université Laval est une faculté canonique – donc confessionnelle – dont le décanat doit être approuvé par l’évêque de la région. C’est la dernière de ce type au Québec. Il s’agit d’ailleurs d’une faculté d’une très grande qualité, où plusieurs de nos membres ont étudié, mais nous craignons que celle-ci devienne la référence hégémonique pour revoir notre formation et notre pratique.

La question n’est pas de savoir si le choix du Centre Spiritualitésanté et de la faculté de théologie catholique de l’Université Laval par le gouvernement Legault est un bon ou un mauvais choix pour mener ces réflexions sur la profession des ISS. Il est évident qu’une grande partie de la population québécoise s’identifie encore à la religion catholique et que lorsqu’elle est confrontée à des épreuves terribles comme la maladie – physique ou mentale – ou à la mort, sa spiritualité s’exprime à travers ses rites, ses codes, ses sacrements, etc. Plusieurs de nos membres sont également issus de cette tradition, et c’est un fait incontournable que les soins spirituels cliniques d’aujourd’hui et de demain doivent tenir compte de cette réalité.

La question est plutôt de savoir si le MSSS, qui est justement en train de se pencher sur les manières d’améliorer les soins spirituels d’aujourd’hui et de préparer ceux de demain, peut se permettre d’ignorer l’AIISSQ, la seule association professionnelle non confessionnelle qui représente les ISS au Québec, et sa rigoureuse formation qui s’appuie sur des standards n’ayant cessé d’évoluer depuis les premiers stages cliniques du genre en 1925 aux États-Unis (les premiers stages québécois en anglais datent des années 60 et en français, des années 80).

Outre ce long parcours, notre code d’éthique, nos normes de formation et de pratique professionnelle constituent autant de gages de qualité qui ne pourraient qu’enrichir les réflexions actuelles sur notre discipline.

De plus, il est de notre avis que la population québécoise, bien que sensible tout comme nous à une certaine réalité catholique de notre province, ne se sent pas entièrement représentée par cette tradition et aimerait profiter d’expertises diverses, d’angles différents et d’espaces nouveaux pour explorer sa spiritualité lorsqu’elle vit des moments difficiles à l’hôpital, en CHSLD ou encore à domicile. 

Nous croyons aussi que la population, dont les personnes exclues du ministère catholique (les femmes et les personnes LGBT), mérite de recevoir un accompagnement libéré du patriarcat. Notre association, qui regroupe des intervenants d’horizons différents, mais unis par la même approche non confessionnelle et régis par le même code d’éthique, sait créer ces espaces sécuritaires où cette exploration peut avoir lieu, en plus de constituer une barrière de protection contre les abus comme ceux dont il a été question récemment.

Du côté scolaire, l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, avec qui nous faisons affaire présentement, détient également de nombreux atouts qui pourraient apporter de l’eau au moulin, ainsi que les autres instituts et départements de sciences des religions non confessionnels de la province, par exemple ceux de l’Université du Québec à Montréal ou de l’Université Concordia.

C’est pourquoi nous exhortons la ministre de la Santé à saisir la main que l’AIISSQ tend depuis une semaine et à nous inviter à prendre part aux consultations provinciales sur les soins spirituels. Les Québécois méritent des services de soins spirituels de pointe qui tiennent comptent des différentes réalités spirituelles et religieuses de la population, et qui assurent un environnement sécuritaire en milieu de soins pour que leurs croyances puissent faire partie de leur humanité, même au cœur de leurs pires souffrances. Pour accomplir cela, il est impératif d’inclure l’AIISSQ.

* Cosignataires : Mélany Bisson et Joëlle A. St-Arnaud, respectivement présidente et secrétaire générale de l’Association des intervenantes et intervenants en soins spirituels du Québec

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