OPINION POLITIQUE INTERNATIONALE

Une occasion pour Vladimir Poutine

La politique est l’art du possible. C’est aussi l’art de saisir l’occasion lorsqu’elle se présente. Le président russe Vladimir Poutine était en France hier alors que le camp occidental étale ses divisions au grand jour. Le moment est donc particulièrement bien choisi pour relancer le dialogue avec l’Occident.

C’est le président français Emmanuel Macron qui a invité le maître du Kremlin. Les deux présidents inauguraient à Versailles une exposition consacrée à la visite en France il y a trois siècles du tsar Pierre Le Grand.

En acceptant l’invitation de son homologue français, Poutine voulait ainsi réaffirmer le choix européen de la Russie. Il ne se doutait pas qu’il arrivait aussi au beau milieu d’une scène de ménage entre Occidentaux et dont les marques vont accentuer les lignes de fracture déjà nombreuses au sein du monde atlantique depuis plus d’une décennie.

Le contentieux est lourd entre Occidentaux. La guerre en Irak en 2003, le conflit syrien, les relations avec la Russie, les querelles autour du libre-échange et le Brexit ont fracturé l’Alliance atlantique. L’élection de Donald Trump n’a rien arrangé. Le week-end dernier, aux sommets de l’OTAN et du G7, le président américain en a remis une couche. À Bruxelles, il a faussement accusé ses alliés de ne pas respecter leurs obligations en matière de budget militaire et de devoir de l’argent aux États-Unis. Devant ses pairs du G7, il est resté inflexible sur le climat et le protectionnisme.

Ce fiasco diplomatique a mis le feu aux poudres et le coup est venu du plus fidèle des alliés, l’Allemagne.

La chancelière Angela Merkel a pris acte de la rupture entre les États-Unis et ses alliés et a plaidé en faveur d’une Europe unie autour de la défense de ses intérêts.

«  Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours, a-t-elle lancé, dimanche. Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin.  » Un de ses conseillers a enfoncé le clou. «  Ce que nous avons vécu lors du sommet [du G7] ne correspond pas à ce que nous nous attendons d’un président américain, ni sur le plan intellectuel ni sur le plan du potentiel de l’Amérique  », a déclaré Jürgen Hardt.

Les coups de gueule entre alliés ne sont pas rares. Mais ce qui s’est passé ce week-end est plus sérieux. La confiance n’existe plus, et il faudrait tout un choc pour ressouder les morceaux éparpillés un peu partout. En attendant, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont entre les mains des cartes qui permettraient de reconfigurer les relations entre Washington et l’Europe et entre l’Occident et la Russie.

Macron est un atlantiste, mais il n’a pas l’intention de suivre aveuglément la politique proaméricaine de François Hollande, qui n’a rien donné. Et il se méfie trop de la Russie pour établir une relation étroite qui passerait mal chez les alliés. Il lui reste l’Europe, dont la clé de voûte est l’Allemagne.

Les frasques de Trump et le Brexit placent la France et l’Allemagne en position de leadership.

Le couple franco-allemand a cependant la difficile tâche de donner une cohérence et une action à l’Europe. En s’élargissant à l’est, l’Union européenne et l’OTAN ont absorbé 10 petits pays essentiellement alignés sur les États-Unis et qui bloquent tout rapprochement avec la Russie et toute tentative d’ériger l’Europe en puissance indépendante.

C’est ici que le dialogue entre Macron et Poutine pourrait être d’une certaine aide. Le contentieux entre Paris et Moscou tourne surtout autour de la Syrie et de l’Ukraine. Dans les deux cas, les Occidentaux ont perdu. Le règlement politique de ces conflits se fera selon les termes de Moscou, car les Européens sont lâchés par les Américains qui ne s’y intéressent pas depuis l’élection de Trump. Poutine en est bien conscient. Il devra faire des gestes pour apaiser les tensions avec les Européens et leur permettre de passer à autre chose.

Pour leur part, les Européens sont-ils prêts à renouer avec les Russes ? Certains indices le laissent croire. La France veut renforcer son partenariat avec Moscou et plusieurs pays européens veulent lever les sanctions qui les pénalisent tout autant que la Russie. Les Européens de l’Est savent maintenant qu’ils ne peuvent plus compter sur les États-Unis pour leur sécurité. La politique de confrontation avec la Russie a échoué et seule l’Europe représente l’avenir.

Espérons que la chaleureuse poignée de main échangée entre Macron et Poutine soit le début d’une relation plus constructive entre l’Occident et la Russie.

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