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Deux annonces de l’administration Plante ont retenu l’attention, hier : le dépôt d’un règlement sur les logements sociaux et l’utilisation du droit de préemption dans le secteur du bassin Peel.

Montréal

Le neuf subventionnera le logement social

Le nouveau règlement municipal est reçu froidement par les promoteurs

À compter de 2021, les promoteurs de tout projet résidentiel de plus de cinq logements devront contribuer à la construction de logements sociaux sur le territoire de Montréal, en vertu d’un nouveau règlement municipal. Une décision qui ferait augmenter le coût des logements neufs de 1 à 4 %, beaucoup moins que ne l’appréhendaient les promoteurs.

La mairesse de Montréal a présenté hier le Règlement pour une métropole mixte, qui exigera que les promoteurs incluent 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et de 10 à 20 % de logements familiaux dans leurs projets.

« Nous avons développé ce règlement afin de conserver notre abordabilité, tout en offrant des logements de qualité pour les ménages à faible revenu », a déclaré la mairesse Plante en présentant son règlement.

Des éléments de souplesse ont été intégrés au règlement, ce qui a plu au milieu des affaires, qui craignait le pire à un certain moment. « On est heureux du chemin parcouru avec la Ville », déclare Laurence Vincent, coprésidente de la société Prével, un promoteur qui se spécialise dans des produits résidentiels accessibles.

Sources d’irritation

Néanmoins, des sources d’irritation majeures persistent, car le règlement va plus loin que la stratégie d’inclusion actuelle, qui exige 15 % de logements sociaux et 15 % de logements abordables. Par exemple, les exigences concernant le volet social s’appliquent à tous les projets de plus de 5 logements comparativement aux projets de 100 logements et plus.

Autre changement majeur, les nouvelles exigences s’appliquent aux projets de plein droit qui ne nécessitent pas de modification au zonage. L’Institut de développement urbain (IDU), le lobby des promoteurs immobiliers, qualifie de source d’irritation majeure l’assujettissement des projets de plein droit à l’inclusion sans compensation.

Autre déception chez les adeptes de la brique et du mortier, le règlement ne s’applique qu’aux 19 arrondissements de la ville-centre, sans toucher aux villes défusionnées de l’île ni à la proche banlieue.

Montréal escompte favoriser la construction de 600 logements sociaux et communautaires, 1000 logements abordables, dont 300 familiaux, et 500 logements familiaux, à la valeur marchande chaque année. 

13,7 millions

Somme que la Ville de Montréal espère récolter chaque année pour acheter des terrains sur lesquels construire des logements sociaux

Le règlement sera modulé en fonction de l’ampleur des projets et de leur localisation. Par exemple, les exigences pour des logements de trois chambres sont moindres au centre-ville qu’ailleurs dans la ville.

Le règlement fera l’objet d’une consultation publique en septembre. Il sera adopté au début de 2020. La stratégie d’inclusion sera modifiée au même moment pour s’harmoniser au règlement. Celui-ci prendra effet sur les projets de plein droit, actuellement exclus de la stratégie d’inclusion, un an plus tard, soit le 1er janvier 2021.

Surcoût à prévoir

Néanmoins, la Ville estime que le prix des condos va augmenter de 1 à 4 % en raison de l’entrée en vigueur du règlement, celui-ci faisant en sorte que les logements ordinaires subventionnent les logements sociaux ou abordables.

Mandatée par l’Institut de développement urbain et le lobby des constructeurs d’habitations, la firme d’experts immobiliers Altus avait originalement calculé que le prix des condos au centre-ville risquait d’augmenter de 16 % à la suite de l’adoption du règlement. « Nos analyses d’impacts démontrent désormais un effet sur les prix variant entre 3 et 5 % », dit Vincent Shirley, directeur au Groupe Altus.

Le surcoût est moindre qu’appréhendé parce que la Ville a haussé ses subventions servant à la construction de logements sociaux dans le cadre du programme Accès Logis.

Les réactions en bref

Responsabilité publique

« La mairesse doit expliquer pourquoi elle fait le choix de procéder unilatéralement sans l’appui de ses collègues de la Communauté métropolitaine et sans connaître les conclusions des discussions entre le fédéral et Québec [dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement]. La Ville fait ainsi payer ses ambitions aux propriétaires et locataires d’unités neuves alors que l’abordabilité est d’abord et avant tout une responsabilité de nature publique », dit André Boisclair, PDG de l’Institut de développement urbain.

Pas assez courageux

Pour l’organisme qui milite pour la construction de logements à loyer modique, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), le règlement ne répondra pas aux besoins des 42 000 ménages locataires qui consacrent 80 % de leur revenu pour se loger. « Les objectifs d’inclusion ne devraient concerner que le logement social et aller bien au-delà du 20 % promis », écrit le FRAPRU dans un communiqué.

Constructeurs inquiets

« On est inquiets, dit François Vincent, porte-parole de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec. La Ville parle d’un surcoût pouvant aller jusqu’à 4 % du prix d’achat. Sur un condo de 350 000 $, ça représente 14 000 $, l’équivalent d’une mise de fonds. On pense que cette deuxième mise de fonds symbolique va convaincre des citoyens de traverser le pont pour s’établir en banlieue. On souhaite que le règlement n’engendre pas de surcoût. »

« Bonne base pour consulter »

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) prend note des assouplissements intégrés au projet de règlement. Elle tient à s’assurer que la démarche de la Ville n’ait pas d’impact déstructurant majeur sur les projets de construction. « Ç’aurait pu être un règlement qui s’applique à partir de 20 logements. À plus de 5 unités, on pense que le seuil est un peu bas », croit Michel Leblanc, son président et chef de la direction.

Sursis d’un an

Les projets réalisés de plein droit, ceux qui ne nécessitent pas de dérogation au zonage, profitent d’un sursis d’un an avant d’être assujettis au nouveau règlement. « La Ville a entendu les promoteurs pour qui c’était un enjeu », s’est réjouie Laurence Vincent, coprésidente de Prével. « Néanmoins, ce délai s’avère insuffisant pour les projets de grande envergure », reconnaît-elle du même souffle.

Insuffisant

« Le règlement ne devrait pas s’appliquer à des projets de plein droit », soutient Brian Salpeter, vice-président principal chez Cadillac Fairview, promoteur des Tours des Canadiens. Cadillac prévoit la construction de 2000 logements (locatif et condo) au 600, Peel, un projet de plein droit. Le délai d’un an est trop court. « On craint que le règlement n’amène les constructeurs à préférer le condo au locatif, à un moment où il manque de locatif », fait-il savoir.

Projet de stade de baseball

La Ville renforce son contrôle sur le bassin Peel

L’administration de la mairesse Valérie Plante vient d’abattre une carte stratégique afin de garder le contrôle du développement du secteur du bassin Peel en exerçant son droit de préemption sur les terrains convoités pour la construction d’un stade de baseball.

Cela ne signifie pas nécessairement que la Ville de Montréal achètera l’ensemble des terrains pour lesquels elle a exercé son droit de préemption ; le cumul des transactions se compterait en quelques centaines de millions de dollars. Il s’agit plutôt d’assurer « le développement mixte du site » et, surtout, de « parler d’égal à égal » avec les promoteurs, a indiqué hier la mairesse.

« Le souhait est très clair. C’est de reproduire le même bon coup que la semaine dernière quand on a annoncé cette entente historique pour réfléchir en équipe sur le développement d’un quartier sur les terrains de Molson-Coors », a expliqué Mme Plante. Montréal y avait également exercé son droit de préemption.

Cette fois, le secteur visé est au cœur de discussions publiques qui animent les partisans du retour du baseball majeur à Montréal depuis des mois. Le Groupe de Montréal y travaille et promeut la construction d’un stade de baseball à ciel ouvert à un jet de pierre du centre-ville. Le Groupe de Montréal est dirigé par Stephen Bronfman (Claridge, le fonds d’investissement de la famille Bronfman), en partenariat avec le promoteur immobilier Devimco. Outre le stade de baseball, le projet privé prévoit entre autres lotir les terrains convoités qui appartiennent en grande partie à la Société immobilière du Canada (SIC). Il est question d’y construire 4500 unités d’habitation (condos, logements locatifs et unités réservées aux familles).

En novembre dernier, Montréal avait exercé son droit de préemption sur trois terrains de la SIC, à proximité du bassin Peel. Avec la décision d’hier, ce sont quatre autres terrains qui s’ajoutent et englobent ce « coin névralgique » ; « ils encadrent l’entièreté de la rive sud du bassin Peel », souligne-t-on dans les documents officiels de la Ville.

Un acteur incontournable

L’administration Plante devient ainsi un acteur incontournable dans le développement du quartier qui a des allures de friche industrielle à l’heure actuelle. Le droit de préemption pourrait lui permettre de négocier un accès public aux berges, la construction d’une école, des places publiques, l’implantation d’équipements collectifs, par exemple. Les règles en place obligent un promoteur à réserver 10 % du projet pour un espace vert.

« On lit tous les nouvelles qu’il y a beaucoup d’engouement pour ces terrains-là. Bien sûr, ça pourrait être pour le stade de baseball, mais on a entendu également d’autres promoteurs. Moi, ce que j’entends à travers les branches, c’est qu’il y a d’autres projets », a affirmé Valérie Plante.

« Pour nous à la Ville de Montréal, ce qui est important, c’est d’avoir notre mot à dire et contribuer à comment va se développer ce quartier-là. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

Ni les représentants de Claridge ni ceux de Devimco n’ont souhaité commenter la situation. Du côté de la SIC, on dit vouloir « s’assurer de développer un projet qui respecte les exigences de la Ville ».

André Boisclair, PDG de l’Institut de développement urbain, le lobby des promoteurs immobiliers, n’est guère impressionné par la décision de l’administration Plante. « La Ville cherche ainsi à renforcer son rapport de force, dit-il. Mais la Ville a toujours eu un droit d’expropriation. Dans les faits, les sommes qu’elle a mises de côté pour exercer son droit de préemption sont marginales. C’est un droit qui demeure bien théorique. »

Un bon départ

Quant à l’organisme Action Gardien, très critique de l’idée de construire « un stade de baseball qui induit une économie de luxe », il a salué hier le geste de la Ville. On y voit « un bon départ » pour que le développement du bassin Peel ne soit pas un prolongement de Griffintown avec ses hautes tours à condos. « La vision du développement de la ville des promoteurs est aux antipodes des besoins, des rêves et des aspirations de la population », estime Karine Triollet, d’Action-Gardien.

Il y a trois semaines, une coalition d’organismes communautaires, dont Action-Gardien, a invité les citoyens à élaborer des propositions d’aménagement pour créer un milieu de vie dans le secteur. La démarche s’inscrit dans le cadre de la consultation de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur la mise en valeur du secteur Bridge-Bonaventure (une superficie de 2,3 kilomètres carrés qui inclut le bassin Peel).

Plusieurs autres acteurs sont également intéressés par le dossier. Ils apparaissent même interdépendants les uns des autres. Il y a la SIC, la Ville, les promoteurs, les groupes communautaires et la Caisse de dépôt et placement du Québec, dont la filiale CDPQ Infra orchestre la réalisation du Réseau express métropolitain (REM), un train électrique autoguidé. Le REM traverse le secteur. CDPQ Infra y a d’ailleurs prévu une gare de train mais n’a toujours pas indiqué l’endroit précis, compte tenu des discussions en cours. Devimco a déjà proposé à CDPQ Infra de payer une partie de la construction de la gare si celle-ci s’élevait aux abords de son projet.

L’annonce d’hier s’inscrit dans la poursuite de la mise en place de la stratégie immobilière. La Ville a identifié 90 terrains sur lesquels elle se dote d’un droit de préemption. Environ 50 millions sont disponibles à cette fin pour le moment.

« Mon administration est déterminée à assurer un développement mixte sur ce site à fort potentiel, et c’est pourquoi nous utilisons tous les outils à sa disposition, dont le droit de préemption », a conclu la mairesse Plante.

— Avec la collaboration d’André Dubuc, La Presse

Qu’est-ce que le droit de préemption ?

Préempter un immeuble permet de protéger les intérêts de la Ville en obtenant le droit de premier refus lors d’une vente prévisible à moyen terme. Cela signifie que Montréal prend connaissance de l’offre d’achat reçue par un propriétaire et dispose de 60 jours pour déterminer si elle souhaite acquérir l’immeuble aux mêmes conditions ou se retirer de l’offre. Montréal est la seule municipalité au Québec à détenir ce droit en vertu des changements législatifs favorisant l’autonomie de la métropole, adoptés en 2017.

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