Chronique

Sexe, profs et étudiants

« Faut-il proscrire les relations intimes entre professeurs et étudiants ? »

La question posée à la une du Devoir, hier, faisait écho à un débat encore tabou dans les collèges et les universités. Un débat qui semble malheureusement être resté dans l’angle mort des consultations de la ministre Hélène David sur la prévention des violences à caractère sexuel sur les campus, même si de plus en plus de voix osent se faire entendre à ce sujet.

Pourrait-on envisager dans nos collèges et nos universités la mise en place d’un règlement semblable à celui adopté par l’Université Harvard en 2015 interdisant les relations amoureuses et sexuelles entre professeurs et étudiants ? La ministre de l’Enseignement supérieur est restée évasive quand on lui a posé la question en marge de la dernière journée de réflexion, il y a deux semaines. « Lors des journées de réflexion, ça ne nous a pas été demandé et ce serait d’une grande complexité », avait-elle dit.

Cette question controversée n’a peut-être pas monopolisé les débats lors des cinq journées de réflexion, c’est vrai. Mais elle a certainement été portée à l’attention de la ministre avant et pendant les consultations qui doivent mener à l’élaboration d’un projet de loi visant à contrer et prévenir les agressions sexuelles dans les établissements postsecondaires.

Pour la première fois, des syndicats d’enseignants ont pris position de façon très claire dans le débat, comme le soulignait Le Devoir, hier. Dans un avis remis à la ministre David dans le cadre de ses consultations, la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep propose de « réfléchir à l’élaboration d’un code de conduite qui proscrit les rapports amoureux et sexuels entre le personnel et les étudiantes et étudiants ». 

On y rappelle que ces relations, qui s’inscrivent dans un rapport de pouvoir « maître-élève », peuvent devenir « toxiques » et « avoir des conséquences néfastes pour les jeunes ».

En décembre, le conseil fédéral de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec appelait aussi ses syndicats affiliés « à proscrire tout rapport intime (amoureux ou sexuel) avec une étudiante ou un étudiant dans une relation pédagogique ou d’autorité ».

Quelques semaines auparavant, 60 professeurs de cégep et d’université ont envoyé une lettre à la ministre réclamant que les professeurs aient un code de déontologie semblable à celui de nombreux professionnels (psychologues, médecins, etc.) qui interdit les relations sexuelles avec leurs patients pour éviter tout abus de pouvoir.

Où se situe la ministre Hélène David dans ce débat ? Entend-elle donner suite à ces demandes ?

« C’est une question qui va être examinée dans le projet de loi », me dit Thierry Bélair, attaché de presse de la ministre. « C’est complexe et délicat parce qu’entre adultes consentants, il est difficile de prescrire. Mais on se penche sur la question. »

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« Complexe et délicat. » Personne ne dira le contraire. J’avoue que la première fois qu’on m’a parlé de code de déontologie régissant les rapports intimes professeurs-étudiantes (le féminin l’emporte ici sur le masculin), j’étais sceptique. Même si j’en comprenais l’objectif, j’y voyais d’abord et avant tout une intrusion dans la vie privée d’adultes majeurs et vaccinés. Cela m’apparaissait comme une forme de puritanisme.

J’ai changé d’avis après avoir rencontré des victimes, creusé davantage ce sujet tabou, lu les actes du colloque Sexe, amour et pouvoir (Remue-ménage, 2015) et l’essai d’Yvon Rivard Aimer, enseigner (Boréal, 2012). Rivard n’hésite pas à qualifier de « prédateurs » les professeurs qui profitent de leur position pour séduire à répétition des étudiantes. Il explique que ce n’est pas tant une faute contre les mœurs qu’une destruction de la relation de confiance sur laquelle est fondée la relation maître-élève. Le rôle du professeur, c’est de relayer le désir d’être et d’aimer. Il n’a pas le droit de reprendre ce désir à son profit.

J’ai compris que l’on ne parlait pas ici de relations entre adultes consentants, mais bien d’abus de pouvoir et de détournement de confiance. Car il n’y a pas de consentement libre et éclairé possible lorsqu’un enseignant profite de sa situation d’autorité pour multiplier les conquêtes. Et si les rapports de pouvoir sont partout en société, il faut admettre que ceux qui régissent la relation maître-élève sont particulièrement intenses, souligne Martine Delvaux dans Sexe, amour et pouvoir. « Le professeur supervise, corrige, évalue […]. Le professeur fournit les contrats, ouvre la porte aux équipes et aux centres de recherche, facilite l’intégration dans des activités de colloques et de publications. Il siège aux comités d’attribution de bourses, à l’interne et à l’externe, dans les comités de rédaction de revues et de maisons d’édition. Il fait partie des comités d’embauche. Il représente tout ce que l’étudiante court le risque de perdre si elle se défile, résiste, s’oppose, refuse, dénonce… »

En discutant avec des victimes, j’ai aussi réalisé l’effet dévastateur que le comportement banalisé de professeurs prédateurs peut avoir sur une vie. 

J’ai compris que les cas heureux que l’on aime citer – ils se sont mariés et ont eux des enfants – constituent l’exception qui confirme la règle. La règle, c’est l’étudiante qui croyait être consentante et qui déchante quand elle réalise qu’elle a été manipulée par un professeur qui abuse de son pouvoir. La règle, c’est une histoire qui ressemble beaucoup plus à celle racontée lors du procès de l’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest, accusé d’agressions sexuelles, qu’à une simple histoire d’amour qui finit mal.

Ce n’est pas pareil, me dira-t-on, car on parle ici d’un homme accusé d’avoir agressé des athlètes mineures pour la plupart. Ce n’est pas pareil, non. Mais ce n’est pas si différent. Dirait-on que les gestes reprochés sont soudainement devenus moins graves le jour où les athlètes ont eu 18 ans ? Dirait-on que les rapports de pouvoir maître-élève disparaissent quand les victimes atteignent la majorité ?

La règle, ce n’est pas la belle histoire. C’est une histoire laide et tragique qu’on préfère ne pas voir. Il serait temps d’y voir.

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