On n’est pas sérieux quand on a 85 ans
Tu écouteras ta mémoire : cent très brefs récits
Gilles Archambault
Boréal, 133 pages
4 étoiles
Dans un monde obsédé par les primoromanciers, où l’on est sans cesse en quête de « nouvelles voix », on réfléchit peu à ce que signifie écrire un 42e livre que personne n’attend – pas plus qu’on attendait le premier, d’ailleurs. On en apprendrait plus sur la vanité, et de ce sentiment, Gilles Archambault est spécialiste. Il la traque chez les autres, dans les livres et les postures d’écrivains, mais surtout en lui-même, appliquant l’excellent principe de son cher Cioran, qui consiste à se lancer la première pierre avant qu’on ne le fasse à sa place. Et même là, cette brillante astuce peut révéler la vanité. Sur l’autodérision, il écrit : « tout a fonctionné jusqu’au jour où il s’est rendu compte que tout autour de lui, on protestait de moins en moins lorsqu’il se dépréciait à haute voix ».
Mauvaise foi, mélancolie, exaspérations, illuminations, tendresse et humour émaillent les « cent très brefs récits » qui constituent le recueil Tu écouteras ta mémoire, dont la concision est un gage de profondeur et de politesse qu’on ne retrouvera jamais sur Twitter.
Gilles Archambault a trouvé depuis longtemps ses grands thèmes, qui n’ont peut-être jamais été plus pertinents que maintenant, alors qu’il a 85 ans. Il insiste, il souligne, il creuse le fait d’être vieux, la mort des passions, le temps qui passe, la tyrannie des souvenirs heureux et l’inutilité de publier. Et pourquoi se priverait-il de ce recul sur le monde qu’offre le grand âge, que les jeunes écrivains ne peuvent qu’imaginer et, au pire, singer ?
Pour tout dire, c’est savoureux. Entre autres parce qu’on ne trouve pas dans son livre de « perles de sagesse », qui, accumulées, finissent par faire des colliers en toc. Archambault cultive ses défauts, plus que son image. « Encore un autre livre », annonce un texte où on lit : « Non, mais, va-t-il un jour s’arrêter de publier ? Il ne parvient qu’avec peine à porter la fourchette jusqu’à sa bouche, il tremblote de façon comique, pourtant il s’imagine que les jeunes pourront encore lire ses histoires d’un autre temps. » Son narrateur rêve parfois de brûler ses livres, « ces preuves de [sa] vie inutile », mais pense avec effroi à son incinération. Il lui arrive d’être touché par sa bru qui s’occupe de lui, mais il ne saurait vivre sans « ce silence horrible » de la solitude malgré tout. Autrefois, il disait écrire la nuit, pour séduire ; aujourd’hui, la vérité est qu’il passe ses nuits à chercher le sommeil et à être dérangé par sa prostate. « Il y a une quarantaine d’années, je vous l’accorde, j’étais un écrivain que titillait le désir de réaliser ce que j’appelais, les jours fastes, une œuvre. J’étais touchant dans ce temps-là. » Il y a tout de même, peut-être, une petite place qui revient à tout écrivain ? « Moi, tenez, j’ai charge de famille, je m’échine du matin au soir à décrire ce monde horrible. Et qu’est-ce que j’en retire ? Le sourire moqueur de ma femme et des comptes rendus minables. Pourtant, je continue, je participe au marathon, je laisse dire qu’il n’y a rien de plus beau que l’imagination au pouvoir, je mens comme un arracheur de dents, je suis insatiable. Il ne serait pas mauvais qu’on me laisse une petite place, vous ne trouvez pas ? »
On ajoute peut-être un compte rendu minable de plus ici, mais ça nous donne l’étrange impression de participer à, oui, une œuvre, même si le mot le fait rire. Du moins au dialogue ininterrompu depuis 50 ans d’un écrivain avec la littérature, qui persiste et signe, sans jamais nous ennuyer.
— Chantal Guy, La Presse