OPINION JOCELYN COULON

CRISE AU VENEZUELA Trudeau marque un point

Le gouvernement canadien a pris une initiative louable en accueillant à Ottawa une rencontre des pays membres du Groupe de Lima sur la situation au Venezuela.

À elle seule, cette rencontre ne mettra pas fin à la crise dans ce pays. Il en faudra d’autres, comme celle qui se déroulera jeudi entre les représentants de l’Union européenne, du Mexique et de l’Uruguay.

Justin Trudeau et Chrystia Freeland ont compris qu’il fallait agir rapidement pour faire baisser la tension. Le régime du président Maduro est peut-être contesté, mais il jouit encore d’un appui certain au sein de la population, ce que les médias occidentaux ne nous montrent jamais. Les Vénézuéliens ne sont pas tous dans la rue pour soutenir l’opposition. À Washington, le président Trump agite la menace d’une intervention militaire comme au temps pas si lointain où les marines débarquaient pour « rétablir l’ordre » et changer les régimes.

Une telle situation est explosive et les ingrédients sont réunis pour qu’elle dérape et provoque un bain de sang. Face à pareil scénario, l’initiative canadienne doit être saluée.

Pour qu’une action politique réussisse toutefois, encore faudrait-il que les Occidentaux cessent de faire des gestes qui ne les placent résolument pas du côté de la démocratie, mais d’une faction.

Ainsi, l’appel lancé à l’armée pour lui demander de prendre position est irresponsable. Toute l’histoire du Venezuela depuis un quart de siècle est émaillée de ces luttes entre factions politiques de droite comme de gauche. L’armée est souvent intervenue, pas toujours pour le mieux. Le peuple est toujours celui qui souffre. L’armée vénézuélienne n’a pas de conseil à recevoir ; elle sait lire la situation dans son pays.

La reconnaissance diplomatique du chef de l’opposition Juan Guaidó comme président intérimaire est un autre geste qui révèle le côté cynique, sinon schizophrénique, de certains pays occidentaux.

De nombreux pays reconnaissent les États et non les gouvernements. Et si la reconnaissance a lieu au profit des gouvernements, c’est qu’ils gouvernent effectivement le pays et disposent toujours du monopole de la violence et des représentations diplomatiques à l’étranger.

Or, dans le cas vénézuélien, l’opposant Guaidó, tout légitime qu’il soit par son élection lors des législatives de 2015 et sa nomination à la tête de l’Assemblée nationale, contrôle le bâtiment du Parlement. Les fameuses règles de l’ordre international libéral si chères à nos dirigeants à Ottawa, Londres ou Paris sont ici manipulées à des fins politiques. Cela donne parfois des moments risibles. Lundi, sur France 2, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian déclarait ne pas choisir entre Maduro et Guaidó alors que le président Macron tweetait un message où il reconnaissait l’opposant comme président par intérim.

Un processus politique PAR étapes

Pour apaiser les tensions, il faut adopter un processus politique en plusieurs étapes. La première a été campée par Chrystia Freeland lorsqu’elle a clairement exclu une intervention militaire. C’est un préalable. Il faut espérer que les Américains – le secrétaire d’État Mike Pompeo participait à la réunion d’Ottawa par vidéoconférence – soient d’accord, ce qui est loin d’être acquis.

La deuxième étape réside dans les propositions qui résulteront des discussions qu’auront demain le Mexique, l’Uruguay et l’Union européenne, qui ont constitué un groupe de contact pour tenter de trouver une issue politique à la crise d’ici 90 jours. Ce laps de temps court-circuite la demande irréaliste de la France d’organiser des élections précipitées dans un pays au bord du chaos, et donne à la diplomatie la marge de manœuvre dont elle a besoin pour rapprocher les parties.

Si le dialogue aboutit à un accord, la troisième étape sera alors d’organiser des élections présidentielle et législatives sous contrôle international. Les dirigeants issus de ces scrutins pourraient alors engager une quatrième étape, celle de la réconciliation nationale.

Contrairement à ce qu’affirment la Russie et la Chine, la crise vénézuélienne représente effectivement une menace à la paix et à la sécurité internationales.

L’afflux de quelque trois millions de réfugiés vénézuéliens vers la Colombie, l’Équateur, le Brésil, la Guyana et la Guyane française fragilise les économies de certains de ces pays et teste leurs capacités d’accueil. Leur sécurité et même leur stabilité sont menacées. Il est temps d’agir, mais avec doigté et prudence.

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