CULTURE DE LA MARIJUANA À DOMICILE
Pousse, mais pousse légal
L’alcool est légal, et on peut produire sa bière ou son vin chez soi. Le tabac est aussi légal, et la loi permet d’en cultiver jusqu’à 15 kg. Alors pourquoi interdire la culture à domicile du cannabis en même temps qu’on légalise la substance ?
Cette approche stricte est celle préconisée par le gouvernement Couillard.
Il est vrai qu’à première vue, elle semble trop restrictive. Elle va moins loin que le Colorado, l’Alaska et l’Oregon, qui permettent chacun la culture à domicile. Idem pour la majorité des provinces canadiennes. Et surtout, elle va moins loin que le projet de loi fédéral, qui autoriserait la culture d’un maximum de quatre plants, d’une hauteur de moins d’un mètre.
Au Canada, pour l’instant, le Québec et le Manitoba sont les seuls à refuser la culture à domicile.
En théorie, les propositions du Parti québécois et de Québec solidaire paraissent plus cohérentes (respectivement deux et quatre plants par adulte). Mais en pratique, l’approche libérale se défend. Car il est plus facile de devenir plus permissif avec le temps que d’aller trop loin puis d’essayer de revenir en arrière. On n’est pas obligé de tout permettre en même temps, du premier coup.
Pour la culture à domicile, il faut se méfier des gens qui réfléchissent en noir et blanc.
Comme le concluait l’année dernière le rapport d’expert commandé par Ottawa, « il y a de solides arguments tant pour que contre ». Et il est difficile de les confronter à l’épreuve des faits, car les expériences de légalisation ailleurs (Colorado, Washington, etc.) sont récentes et rares.
Alors, quels sont ces arguments ?
Mais n’est-ce pas ce qu’on fait déjà pour l’alcool ? C’est vrai, mais il n’est pas facile de produire du vin maison buvable… Il pourrait y avoir plus de cultivateurs que de viniculteurs.
Bien sûr, les propriétaires n’ont qu’à l’interdire dans leur bail. Mais s’ils découvrent un locataire délinquant, ils devront s’adresser à la Régie du logement, reconnue pour ses interminables délais.
Alors que faire ? Il faut le reconnaître, la légalisation suscite de fortes craintes au Québec. Même si plusieurs paraissent exagérées, il est plus sage d’errer d’abord du côté de la prudence. Mieux vaut donc ne pas permettre tout de suite la culture à domicile.
Selon le projet de loi, le régime de cannabis du Québec devra être réexaminé trois ans après son adoption. Ce sera le moment de vérifier si l’interdiction de la culture à domicile est encore justifiée.
Les apprentis cultivateurs s’en plaindront sans doute. Mais c’est une courte attente. En fait, elle sera à peine assez longue pour leur donner le temps de célébrer leur victoire.
On n’obtient pas un bon portrait en comparant les régimes de cannabis sous un seul aspect. Par exemple, l’Ontario permettrait la culture à domicile, mais interdirait la consommation sur la place publique. Au Québec, c’est le contraire*.
Interdire de fumer dans la rue entre en contradiction flagrante avec la légalisation elle-même. À quoi bon légaliser une drogue qu’on empêche de consommer ? Car contrairement à l’alcool, il n’y aura pas de bars avec permis pour le cannabis. Et, autre différence avec l’alcool, un propriétaire pourra interdire à un locataire de fumer du cannabis. Veut-on légaliser le cannabis seulement pour les propriétaires de maison ?
Par contre, pour la culture à domicile, il n’y a pas de contradiction logique avec la légalisation. Ce n’est pas parce qu’on peut fumer qu’on devrait avoir le droit de produire soi-même la plante.
* La consommation sera permise sur la voie publique, à quelques exceptions : sur le terrain d’un cégep ou d’une université, sur les terrasses, près des entrées (distance minimale de neuf mètres) et dans les parcs aménagés (terrain sportif, aire de jeux, etc.).