Sans filtre

J’ai raté les Olympiques. Et après ?

Rémi Pelletier-Roy, cycliste

Dans leurs propres mots, des athlètes d’ici reviennent sur des moments charnières de leur carrière ou lèvent le voile sur des aspects méconnus de celle-ci. Bonne lecture !

Je ne me souviens pas de tous les détails de l’accident parce que ma tête a tapé fort sur la piste. Je devais rouler à 60-70 km/h à ce moment-là. Je pratiquais des sprints dans la roue d’un coéquipier. Mon pied est sorti de la sangle de la pédale et j’ai été projeté. Un vélo à pignon fixe, ça ne pardonne pas.

Je me suis retrouvé à l’hôpital avec une bonne commotion cérébrale. J’avais aussi une fracture de la clavicule. Ça tombait mal. Une semaine plus tard, je devais être à Cali, en Colombie, pour la première Coupe du monde de la saison.

Ma blessure m’a empêché d’y aller. Avec seulement deux autres étapes de Coupe du monde prévues au calendrier, mes chances de me qualifier pour les Championnats du monde et les Jeux olympiques de Rio de 2016 prenaient une claque.

Finalement, je n’ai pas réussi. Ce n’est pas la fin du monde, même si ce n’est pas un moment très agréable à vivre.

Mon échec pourrait se résumer à ma fracture de la clavicule. C’est d’ailleurs sorti un peu comme ça dans les médias à l’époque. Ce n’était pas complètement faux, mais pas tout à fait vrai non plus.

Dans une entrevue, j’étais resté en surface. Je ne voulais pas avoir l’air du gars qui cherchait à se justifier ou à trouver des excuses. Ni celui qui blâme tout le monde sauf lui-même.

Deux ans plus tard, je suis en mesure de faire mon propre bilan. Je ne dois rien à personne et ma mésaventure a eu des répercussions insoupçonnées dans mon parcours personnel et professionnel.

J’ai fait de la compétition en ski alpin avant de commencer le vélo sur route à l’âge de 18 ans. J’avais du talent et j’ai gagné des courses en Amérique du Nord. Mais il me manquait tout un bagage technique et tactique. Sans abandonner complètement la route, je me suis donc tourné vers le cyclisme sur piste, où je pouvais mieux exploiter mon potentiel.

Après les JO de 2012, Cyclisme Canada a mis beaucoup d’énergie et de moyens dans la piste. Ça tombait bien pour moi. En 2013, il a été convenu de concentrer nos efforts sur la poursuite par équipes. Cette discipline disputée à quatre coureurs permettait de développer un plus grand bassin d’athlètes.

Je ne me suis pas trop obstiné et j’ai embarqué. À la base, je trouvais ça le fun de participer à un projet collectif, même si je trouvais un peu irréaliste de penser se qualifier pour Rio. Avec une toute nouvelle structure, je ne voyais pas comment on pourrait battre des nations performantes depuis des dizaines d’années.

Même si on progressait, il est devenu assez clair après un an qu’on n’y arriverait pas. Entre-temps, en 2014, j’ai gagné une médaille de bronze à la course scratch aux Jeux du Commonwealth de Glasgow. Ce résultat m’a redonné le goût de me battre pour les épreuves individuelles. J’ai réussi à convaincre les dirigeants de l’équipe nationale de me laisser tenter ma chance à l’omnium, une épreuve olympique.

Il me restait deux saisons pour progresser et faire partie des 18 qualifiés pour Rio. J’ai d’abord fini troisième aux Championnats panaméricains, première d’une douzaine de compétitions de qualification.

Mais à la première Coupe du monde de la saison, on a constaté qu’il me manquait une poignée de points pour prendre part à l’omnium. Il aurait fallu que je participe à quelques épreuves de qualification. On n’avait rien calculé ni planifié parce que l’omnium n’était pas dans les plans. J’ai donc continué le travail à la poursuite par équipes, mais l’omnium a été mis sur la glace pour un an. D’un coup, je perdais presque la moitié des occasions de marquer des points pour Rio. Pas idéal, mais rien d’insurmontable.

L’année suivante, je me suis assuré d’avoir les points pour m’aligner aux Coupes du monde. J’ai encore gagné le bronze aux Championnats panaméricains. J’étais sur la bonne voie… jusqu’à cette malheureuse chute à l’entraînement. Comme il était minuit moins une, j’avais mis les bouchées doubles à notre centre national de Milton, près de Toronto. Je me suis donc retrouvé sur la table d’opération plutôt qu’en Colombie.

Avec une préparation minimale, j’ai réussi à revenir pour la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, où j’ai fini 16e, ce qui n’était pas si mal compte tenu de mon inexpérience. J’ai obtenu le même classement un mois plus tard à Hong Kong.

En théorie, cela aurait dû être suffisant pour me permettre de participer à l’omnium des Mondiaux de Londres et de cimenter ma place aux JO. Mais le sport étant ce qu’il est, un Kazakh sorti de nulle part s’est mis à rouler comme un avion. Le processus est complexe, mais en gros, il m’a fait dégringoler d’un rang et a pris ma place, en quelque sorte. Mon sort n’était plus entre mes mains.

Pour une trentaine de points, j’ai donc raté ma chance de prendre part aux Jeux olympiques. Ma fracture n’a pas aidé, mais plusieurs facteurs ont joué dans l’équation. Si une seule chose s’était mieux passée, je serais probablement un olympien.

Ironiquement, on s’est classés pour les Mondiaux à la poursuite par équipes. Comme l’épreuve n’était plus une priorité pour Cyclisme Canada, il a fallu mener une campagne de sociofinancement pour payer notre voyage. J’aurais pu arrêter ça là. Mais j’avais tissé des liens avec mes coéquipiers et j’étais devenu leur capitaine. Je ne voulais pas être celui qui les laisse tomber en cours de route. Je n’avais pas fait ça juste pour moi.

Les gens ont été très généreux et on a pris part aux Mondiaux. On a quand même bien fait en réussissant un de nos meilleurs temps au niveau de la mer. Ça m’a permis de faire une transition en douceur. J’ai aussi poursuivi ma saison sur route avec l’équipe Garneau-Québecor.

Je vais être honnête, mon échec à me qualifier pour les Jeux olympiques n’a pas été facile à digérer. Je n’avais que 25 ans, mais je savais que je n’aurais pas une deuxième chance. J’ai vécu une vive déception. Heureusement, ma copine et mes parents ont été là pour me soutenir durant cette période difficile.

J’avais aussi un projet emballant devant moi : la reprise de mes études en médecine à l’Université Laval. Je les avais mises sur la glace pendant le processus de qualification olympique. Il était temps que j’y retourne !

Ma mésaventure olympique m’a fait réfléchir. J’avais deux ans avant l’obtention de mon diplôme et les demandes d’admission à la résidence. Je rêvais d’entrer en orthopédie, mais je savais que ce ne serait pas facile. Une trentaine d’étudiants soumettent leur candidature chaque année pour six places disponibles. En médecine, tout le monde est bon. Un peu comme en Coupe du monde, même le dernier n’est pas mal !

Pour les Jeux, je ne m’étais pas trop informé du processus de sélection, me fiant aux dirigeants. Pour la résidence en orthopédie, j’ai décidé de ne rien laisser au hasard. Le processus, je le connaissais par cœur deux ans à l’avance. Pour augmenter mes chances, j’ai fait des stages en Alberta et en Ontario. J’ai fait de la recherche. J’ai rencontré des gens pour me faire connaître. J’ai soigné mes relations. J’ai postulé dans les 17 programmes de résidence offerts au Canada et j’ai été convoqué pour 14 entrevues.

Le 1er juillet dernier, j’ai reçu ma réponse. J’ai été l’un des deux candidats choisis pour la résidence en orthopédie de l’Université de Montréal, mon tout premier choix. Honnêtement, ça faisait longtemps que je n’avais pas vécu une telle émotion forte. C’est comme le frisson de gagner une course de vélo.

L’histoire ne dit pas si toutes mes démarches ont pesé dans la balance. Plusieurs bons candidats auraient pu être de très bons résidents. Comme dans une course de vélo, le facteur chance entre en ligne de compte. Tu peux avoir une crevaison, un ennui mécanique, rater la bonne échappée. Mais je ne voulais pas avoir de regrets. J’ai contrôlé tout ce que je pouvais. J’aime penser que ça m’a bien servi.

Ça donne aussi un sens à ma mésaventure olympique. Si j’étais allé à Rio, peut-être que je me serais cru un peu meilleur que je ne l’étais et que j’aurais surfé là-dessus.

J’ai raté les Jeux olympiques et ce n’est pas la fin du monde. Je fais actuellement un stage à l’hôpital Sainte-Justine. Dans la nuit de lundi à mardi, j’ai opéré toute la nuit avec ma patronne, ma nouvelle coach.

Ces temps-ci, je n’ai plus vraiment le temps de rouler. Mais je suis encore ce que font mes amis à la poursuite par équipes. Ils sont bien meilleurs maintenant et continuent à s’améliorer. Ils ont des chances d’aller aux JO de 2020 à Tokyo. Moi, je soigne des gens et je suis heureux.

— Propos recueillis par Simon Drouin, La Presse

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