Opinion Nadia El-Mabrouk

Comme un vent de liberté

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

Liberté.

Ce poème de Paul Éluard reflète bien le désir d’émancipation, d’affranchissement, de délivrance que recèle ce mot, liberté. La liberté qui brise les chaînes, qui fait avancer, qui mène à l’épanouissement. Un mot d’autant plus fort pour ceux qui en ont été privés.

Dans bien des pays arabes et musulmans comme la Tunisie, l’Égypte, la Syrie ou la Turquie, les décennies 1950-1960 représentent une période de grande libération sociale, culturelle, littéraire et artistique. Cette période réformiste et moderniste a pris fin avec la révolution khomeyniste de mouvance intégriste en Iran et le retour en force de l’organisation des Frères musulmans d’Égypte.

C’est dans cette mouvance, qui s’oppose farouchement à toute forme de liberté, que le voile islamique s’est imposé dans la société.

L’islam de mon enfance était plus synonyme de réjouissances durant les fêtes que de contraintes religieuses. Tout a changé avec l’arrivée de l’islamisme comme mouvement de contestation politique. C’est à ce moment-là que mes cousines se sont voilées, que mes tantes se sont mises à rattraper toutes les prières qu’elles n’avaient pas faites plus jeunes, et que les restrictions à la liberté se sont multipliées. Je me souviens d’une cousine me soutenant que la femme ne devait pas chanter en public, et qu'Oum Kalthoum avait beau être la plus grande chanteuse du monde arabe, elle se retrouvait désormais en enfer.

Jamais je n’ai entendu parler du voile comme d’une liberté. C’était plutôt une obligation accompagnée d’une série d’interdictions.

Quelle ironie que ce soit maintenant la prétendue liberté de porter le voile qui soit avancée, au Québec, comme argument suprême pour contrer le projet de loi sur la laïcité de l’État !

Si les opposants au projet de loi 21 (PL 21) s’inquiétaient de la liberté, ils se soucieraient davantage du conditionnement exercé sur des enfants emprisonnés dans des cadres religieux contraignants. Que prévoit-on pour défendre la liberté des enfants de certaines communautés évangéliques à dérives sectaires, de familles pratiquant un islam rigoriste qui voilent les fillettes avant même l’âge de la puberté, ou de certaines communautés juives hassidiques privées d’une éducation convenable ? Au-delà d’une école publique laïque, cette question soulève aussi celle des écoles privées confessionnelles.

Que propose-t-on pour éviter que des règles religieuses n’érodent les valeurs d’égalité et de liberté des femmes ? La moindre des choses serait de s’assurer que des accommodements religieux ne puissent être accordés s’ils ne respectent pas le droit à l’égalité des femmes. Or, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), celle-là même qui devrait constituer un rempart contre tout recul des droits individuels et collectifs, s’est opposée à une telle mention d’égalité femme-homme comme critère devant être respecté lors du traitement d’une demande d’un accommodement religieux*. Quelle liberté défend, au juste, la CDPDJ ?

Lors de son audition pour le PL 21, Fatima Houda-Pepin a rappelé la décision prise par une école de Montréal, en 2011, d’accommoder les parents intégristes d'une petite fille de maternelle faisant valoir que l’islam ne permettait pas la musique.

Des responsables de cette école ont accepté d’équiper la petite fille d’une coquille antibruit pour qu’elle ne puisse pas entendre les chants de ses petits camarades !

Réalise-t-on l’odieux de cette décision ? La CDPDJ s’est-elle insurgée contre l’atteinte au droit à l’égalité de cette petite fille ? Au contraire, il semble bien que cette privation ait été vue comme acceptable au nom de la liberté de religion des parents.

Visiblement, le droit des enfants à la liberté ne fait pas partie des priorités de la CDPDJ ni de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qui illustre son rapport 2018 avec la photo d’une fillette voilée, le poing levé ! À force de fermer les yeux sur la réalité de l’intégrisme religieux, on se rend coupable de complicité avec les adversaires des libertés individuelles, et de négligence à l’égard des enfants. À force de tolérer l’intolérable, on « pave de bonnes intentions l’enfer des autres », pour reprendre les mots de Chahdortt Djavann, une femme qui a subi le régime islamique d’Iran.

Cessons de tordre le sens des mots. La liberté recherchée est celle qui brise les chaînes, qui fait avancer les droits collectifs, l’égalité des femmes, celle qui mène à l’épanouissement des enfants. Tant que des règles religieuses peuvent s’immiscer dans la gestion de l’État, les femmes ne sont pas à l’abri de voir s’éroder leurs droits et leurs libertés. Quant aux enfants, la protection de leurs droits fondamentaux, et notamment leur droit à l’éducation et à la liberté de conscience, devrait être la priorité de toute société développée. Ces droits devraient primer ceux des enseignantes et des enseignants à afficher leurs signes religieux.

Telle que définie dans le PL 21, la laïcité ne brime aucune liberté. Au contraire, elle permet de garantir l’égalité et la liberté de conscience et de religion de tous les citoyens. La laïcité est un grand pas vers la liberté et l’émancipation.

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