Blessure sportive

La faute à la nature

Depuis qu’il a commencé à suivre les équipes sportives de l’Université Laval, il y a 25 ans, l’orthopédiste François Marquis n’a pas opéré plus de 10 athlètes masculins qui s’étaient blessés au ligament croisé antérieur (LCA). « Pour représenter le nombre de filles que j’ai traitées, je peux mettre plusieurs mains sur la table », dit-il cependant.

Une affaire de filles, la blessure de ce ligament situé au centre du genou ? « Oui », répond le Dr Marquis. « Mais surtout chez les jeunes. La clientèle de 15 à 25 ans est plus féminine que masculine », observe-t-il. Une fois passé les 25 ans, cependant, l’équilibre se rétablit, et les hommes reprennent souvent le dessus. « Probablement parce que les gars continuent de faire plus de sport et les filles, moins », tente l’orthopédiste.

Le fossé entre les sexes en matière de blessure au LCA a fait l’objet de dizaines d’études dans le monde. Les chercheurs ont finalement pu conclure que les femmes sont plus à risque de subir la blessure, mais ils ne s’entendent pas sur la prévalence de celle-ci. « Les femmes sont de trois à dix fois plus à risque de se blesser [au LCA] quand elles font les mêmes sports que les hommes », résume François Desmeules, physiothérapeute et professeur adjoint à l’école de réadaptation de l’Université de Montréal.

Comme François Marquis, François Desmeules souligne l’absence de statistiques fiables sur la question, car il est bien rare que les blessures soient compilées de manière systématique. « La majorité des gens s’entendent pour dire que le risque est plus élevé chez les femmes, mais dans les disciplines qui demandent des sauts, des déplacements, des arrêts brusques », indique le physiothérapeute.

Pensez au soccer, au basketball, au ultimate frisbee et au ski style libre (freeski), qui amènent un grand nombre de patients sur la table d’opération du Dr Marquis.

À celles qui se demandent ce qu’elles ont bien pu faire à la vie (!) pour se retrouver dans cette position de vulnérabilité, les experts fournissent une série de réponses. À commencer par la biomécanique.

« Quand les filles sautent, elles ont tendance à absorber le choc en rentrant les genoux vers l’intérieur un peu. Donc, ça tord le genou », explique le Dr Marquis, en citant plusieurs expériences menées afin d’observer ce mouvement, unique aux femmes. À l’inverse, les hommes ont tendance à garder le genou aligné avec la partie inférieure de la jambe. Le coupable ? Possiblement le bassin, plus large chez les femmes que chez leurs confrères masculins.

De la même façon, la nature a pourvu les femmes d’articulations offrant davantage de laxité, ce qui donne plus de jeu aux ligaments, qui deviennent à leur tour plus vulnérables aux blessures. « On n’est pas tout à fait certain, mais il y a des chercheurs qui pensent que le ligament est plus souple pendant l’ovulation et à la post-ovulation. Ça pourrait avoir un impact », avance même François Desmeules.

Le LCA des femmes pourrait aussi être plus petit que celui des hommes et donc plus facile à déchirer. « Le ligament passe dans une sorte de tunnel osseux [l’échancrure intercondylienne] et on remarque que cet espace est peut-être plus serré chez les filles », souligne aussi l’orthopédiste Marquis.

Combinez cela à une musculature généralement moins puissante chez les femmes (pour compenser un faux mouvement) et le fait que les filles « font maintenant les mêmes folies que les gars », dixit François Marquis, et vous aurez une tranche de la population plus vulnérable à cette blessure.

Cela dit, on rapporte environ 250 000 ruptures du LCA par année aux États-Unis et au Canada, ce qui en fait une blessure qui est « relativement fréquente, mais dont l’incidence reste relativement faible », rappelle François Desmeules.

À QUOI SERT LE LCA ?

Le ligament croisé antérieur (LCA) s’insère en haut sur le fémur (l’os de la cuisse) et, en bas, sur le tibia (l’os situé à l’avant de la jambe). Avec le ligament croisé postérieur, il forme le pivot central de l’articulation du genou. « Tous les ligaments du corps sont utiles pour la stabilité d’une articulation. Ils permettent de conserver l’alignement », explique le physiothérapeute François Desmeules. Le LCA assure la stabilité du tibia sur le fémur. « Il empêche le tiroir antérieur, c’est-à-dire le mouvement vers l’avant du tibia, par rapport au fémur », ajoute M. Desmeules. Le ligament empêche aussi le mouvement de rotation. « Souvent, quand on plante le pied par terre et qu’on fait un mouvement rapide de changement de direction, on met le LCA en tension », illustre-t-il.

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