Chronique

Faut-il subventionner la presse écrite ?

Je cherche Facebook dans la liste, mais je ne trouve pas. Pas plus que Google ou Twitter.

Je parle des diffuseurs d’information dont les reportages ont secoué la société en 2017. Facebook et Twitter ont certes diffusé, en tout ou en partie, les enquêtes des médias sur Éric Salvail (La Presse), sur Harvey Weinstein (New York Times) ou sur les frasques du numéro 2 de l’UPAC (Journal de Montréal).

Mais ni Facebook ni Google n’ont mis un sou de leurs revenus pour financer ces enquêtes d’envergure qui transforment la société. Ou pour produire les nouvelles ou analyses lumineuses qui ont marqué 2017. En revanche, les médias sociaux ont absorbé l’essentiel des revenus publicitaires (80 %) des médias, ces dernières années.

Ce déplacement des revenus provoque une crise majeure au sein des médias, entraînant des licenciements et des fermetures de journaux. 

À La Presse, une des solutions à la crise a été de mettre fin à l’édition papier, dont le dernier numéro est publié aujourd’hui. Nos revenus continuent toutefois de s’éroder rapidement, comme c’est le cas des autres médias écrits.

Dans ce contexte, une question se pose : faut-il subventionner les médias écrits ? Le gouvernement doit-il consacrer des fonds publics pour s’assurer de conserver cet apport essentiel des médias à la démocratie et à l’intérêt public, comme il l’a fait récemment avec Le Soleil et Le Devoir ? Et, si oui, comment et jusqu’à quel point ?

Je vous avoue mon malaise. Pour deux raisons. D’abord, la question signifie indirectement : faut-il subventionner mon salaire ? Ensuite, parce que je me suis souvent prononcé contre les subventions aux entreprises, à moins de situations particulières (nouveau secteur d’avenir, occupation régionale du territoire, concurrence des autres États, préservation de l’identité culturelle, etc.).

Cela dit, dans le contexte où la presse écrite arrive à la croisée des chemins, la question se pose : l’apport des médias écrits à l’intérêt public est-il l’un des contextes particuliers justifiant des subventions ?

Ailleurs, les autorités ont répondu par l’affirmative. Selon une étude de MCE Conseil, lié au syndicat CSN, l’État verserait une aide directe ou indirecte à la presse écrite représentant 3 $ par habitant au Québec, contre près de 6 $ aux États-Unis, 30 $ en France et 90 $ en Finlande.

Pour justifier une intervention, toutefois, il faut des critères précis et uniformes. Pour l’instant, l’approche du gouvernement du Québec semble cibler la transformation technologique des médias et être limitée dans le temps. Québec agit toutefois au cas par cas, ce qui n’est pas souhaitable. Quant au fédéral, la ministre Mélanie Joly n’apparaît pas consciente des impacts de la disparition des médias écrits.

Devrait-on créer un Fonds des médias écrits, semblable à l’actuel Fonds des médias, dont le nom porte à confusion, puisqu’il sert essentiellement à financer des fictions télévisuelles ? À ce sujet, justement, pourquoi favoriser surtout les fictions au détriment de l’information et des enquêtes journalistiques ? Et au juste, qu’est-ce qu’un média écrit, un journaliste, à l’ère d’internet ?

Quoi qu’il en soit, si une intervention est justifiée par l’apport essentiel des journalistes à la vie publique, les gouvernements devraient exiger que les médias bénéficiaires respectent des normes strictes de professionnalisme. Une erreur ? Un rectificatif. Une médaille ? Deux côtés. Une attaque ? Une réplique.

Entre autres exigences, les médias d’ici devraient nécessairement être membres du Conseil de presse du Québec. Ce tribunal d’honneur de la presse reçoit les plaintes du public et juge du travail des journalistes entourant ces plaintes.

L’organisme est à adhésion volontaire et ses membres s’engagent à publier un résumé des décisions les concernant. Ces décisions sont rendues par un comité de huit personnes (quatre représentants du public, deux journalistes et deux patrons de presse).

Depuis trois ans, selon ma compilation, 94 plaintes ont visé les principaux médias francophones du Québec. De ce nombre, 49 ont été jugées fondées (52 %), en partie ou en totalité.

En 2010, Québecor a annoncé son retrait du Conseil de presse, si bien que le Journal de Montréal, TVA et le Journal de Québec ne font pas écho aux décisions du Conseil les concernant sur leurs plateformes. Les stations du réseau Radio X refusent également de collaborer avec le Conseil. Ces absences sont regrettables et nuisent à la crédibilité de l’ensemble de la profession.

En somme, les questions entourant l’aide publique aux médias sont très nombreuses et il n’est pas facile d’y répondre. Les gouvernements auraient tout intérêt à confier à un comité multipartite la mission de faire une analyse complète de la situation et de suggérer des solutions, notamment pour la presse écrite.

Autrement, si les gouvernements favorisent le statu quo, les citoyens devront vivre, sans rempart, avec l’expansion dangereuse des fausses nouvelles et ses conséquences sur notre démocratie et nos institutions.

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