De mère en fils
Stéphane Sauvage, dite Fanou, est la mère libre et fantasque du romancier Alexandre Jardin, femme aux multiples amants et grande amoureuse qui lui a appris le courage d’aimer et d’être soi. L’auteur de Fanfan lui rend un vibrant hommage dans Ma mère avait raison, qui raconte la vie hors de l’ordinaire de la femme exigeante et sans compromis qui l’a mis au monde.
En vrai ? Beaucoup plus Sauvage. On est toujours le fils des questions qu’on s’est posées. Ma mère poussait tellement loin la possibilité d’être soi, quand j’étais enfant, que sa conduite m’interrogeait tous les jours.
Oui. Je suis l’enfant de sa confiance dans la vie. Ma mère pense qu’on peut courir le risque d’être soi parce que la vie est profuse et généreuse. Si on lui fait confiance ! Pour elle, on peut jeter le manuscrit d’un livre et en écrire un autre en six semaines.
Oui, mais juste assez pour me faire faire quelque chose. Le zèbre ne serait pas né autrement. J’ai eu un moment de panique et je me suis rabattu sur une pièce que j’avais écrite et que j’ai adaptée en roman, en me disant tu ne peux pas te tromper deux fois. Ce coup-ci, tu dois écrire ce que tu es le seul à pouvoir écrire.
J’ai quand même été un peu surpris ! Mais quand on aime les gens, on n’est pas là pour les protéger. On est là pour les aider à rencontrer la vie. Aujourd’hui, on croit qu’il faut mettre des gilets de sauvetage, des ceintures de sécurité, et que c’est l’objectif de la vie. Mais non, l’objectif de la vie, c’est d’être vivant !
Moi, j’aimerais lire une flopée de livres écrits par ces enfants qui se sont emmerdés parce que leurs parents n’osaient pas vivre. Il y en a beaucoup plus !
J’en ai souffert, mais ce n’est pas grave ! C’est une drôle d’idée qu’on a de collée dans la tête, le fait que souffrir est un problème. D’abord, neuf fois sur dix, ce sont nos souffrances qui nous ont fabriqués. L’idée qu’une mère serait là pour être une sorte d’énorme airbag, non !
Très loin. Mais je pense qu’il est plus intéressant d’emmener ses enfants loin qu’à deux pas.
Oui. Et derrière le cas personnel dans ce livre, il y a aussi un discours auquel je crois totalement, et que ma mère incarne, qui dit que chaque instant est une chance et qu’il y a une urgence à vivre. D’ailleurs, c’est mon livre qui a le plus d’effet sur la vie des gens.
Oui. C’est partout sur les réseaux sociaux. Ce sont des femmes qui quittent des maris, des femmes qui arrêtent un job et qui reviennent à leur passion première, des kilomètres de messages de femmes qui s’interrogent sur le droit qu’elles se sont donné d’être ou pas.
Pas autant. Mais c’est une vraie vague.
Mais ce sont les mêmes valeurs. Ma mère est une femme qui ose exister, et ce qui me touche en politique, c’est quand les gens osent exister. C’est un livre très intime qui a une dimension politique, mais pas au sens politicien.
Oui. Total. C’est pour ça que j’ai mis le mot roman, parce que ma mère est l’essence du roman. La question que vous me posez suppose qu’il y aurait une distinction. Le mode de vie de mes parents reposait sur la possibilité de vivre ce qu’on est… comme pour une fiction ! Ils en faisaient des films d’ailleurs. Tout ça se terminait au cinéma ou transposé en littérature !
Là encore, ce qui est malsain, c’est de faire le distinguo ! On s’est tellement tous habitués à l’idée que la vie n’aura pas lieu, qu’on pense qu’il y a un univers imaginaire où les choses sont possibles, en sous-entendant que dans le réel, c’est plus compliqué.
Oui. Quand j’étais tout petit, et je ne doutais pas que c’était son principal métier.
J’étais tout à fait au courant que mes parents étaient sexués. Je voyais bien que l’amour était central. Ça les occupait énormément ; ça leur faisait faire n’importe quoi. Mais élever les enfants dans l’idée que les parents n’ont pas de vie amoureuse, c’est une idée tordue ! Parce que ce n’est pas vrai.
Il s’est trouvé qu’ils ont tous porté des grands sujets. Ils auraient pu ne pas, hein ! Ou c’est moi qui les ai regardés comme ça. Mais c’est vrai que tous les membres de ma famille m’ont fait cet effet. Je les ai regardés, surtout elle.
Je pense qu’elle ne vivra pas 10 ans. Elle vieillit. En même temps, ça lui fait un bien fou, tout le remue-ménage autour du livre. Je l’appelle, je lui raconte… Ça la fait rire, mais parfois elle se demande si tout ça a du sens.
Que la vie soit romanesque n’était pas anormal. Ça m’a accoutumé à la voir comme ça. Mais en réalité, elle est comme ça. Ce qu’on appelle la vie normale est une fiction pure qu’on se raconte. Ça n’existe pas, une famille normale !
Il y a de l’extraordinaire partout, mais il y a quand même trop de gens qui sont au bord d’eux-mêmes. En bordure de leur plaisir, de leur audace.
Oui. Et je ne me suis pas brûlé, puisque c’est ma mère qui m’avait inscrit !
Eh bien oui, parce que ça brûle.
Ce qui est hallucinant, c’est qu’on veuille protéger nos enfants contre la découverte de la vie.
Vous devriez !
Mais il leur arrivera quelque chose d’exceptionnel. Ils seront confrontés à leur peur ultime !
Continuer la désorganisation des familles ! (Rires) Il y a toujours dans ma vie une part d’écrivain. Dès que j’ai une minute, j’écris. Je corrige le réel tout de suite. Il y aura probablement du cinéma. Probablement une nouvelle génération d’applis aussi, car c’est un monde qui n’a pas encore intégré une logique de narration. On en est comme au début de l’histoire du cinéma. Et ma vie de citoyen. C’est normal d’avoir une implication ou d’aider des gens qui ont une implication. Pour moi, ce qui est bizarre, c’est de penser que la citoyenneté se résume au bulletin de vote.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que fait Macron, c’est nous. Parce que des Macron, c’est très remplaçable. Un technocrate déguisé en chef de l’État, c’est une spécialité française. Ce qui me tourmente, ce n’est pas ce que le technocrate fait, c’est nous. Qu’est-ce qui nous prend, pourquoi on est encore ce peuple qui fabrique ça ? Le centralisme, qui continue à donner les clés à la technocratie parisienne. Qu’est-ce qui fait que nous ne parvenons pas à être acteurs de nos propres vies ? Donc, le bilan au bout de sept mois, c’est que nous avons encore un bout de chemin à parcourir sur nous. On est troublants d’inertie.
Ma mère avait raison
Alexandre Jardin
Grasset, 215 pages
Extrait
« En nous bousculant tous, à des degrés divers et selon des modalités à chaque fois inédites, tu nous as faits vivants. L’incohérence superbe, c’est la vie même. L’ordre tentant et apaisant, c’est la nécrose. N’en déplaise à tous les psys de la terre. Tes débordements – aux conséquences incalculables – ont été notre plus belle chance. »