Chronique Lysiane Gagnon

Ô Canada… Ô cannabis ! 

Le Québec, pourtant la province la plus progressiste en matière de mœurs, est celle où le cannabis est le moins consommé et le moins toléré. 

Selon un sondage d’Environics réalisé en juillet, seulement 39 % des Québécois approuvaient la légalisation du pot, alors que le projet recueillait 53 % d’appuis dans le reste du Canada. 

La substance magique est mal vue par une forte majorité de Québécois (68 %), comparativement à 54 % des Canadiens hors Québec. 

Le Québec est même la seule province où l’usage du tabac est considéré comme plus acceptable socialement que le cannabis ! 

Rien d’étonnant, donc, à ce que la réglementation québécoise soit appelée à devenir la plus sévère au Canada. Cette prudence extrême est en phase avec l’opinion publique. 

Ce qui est plus étonnant, c’est que le gouvernement Trudeau ait procédé avec tant de précipitation à une législation qui suscite autant de réticences dans la population. Mais on le sait, Justin Trudeau ne jure que par l’image. Il tenait à être le premier chef de gouvernement important à légaliser le pot à des fins récréatives. Beau coup d’éclat ! Tellement cool. 

Aucun autre pays ne s’est lancé dans cette aventure, sauf l’Uruguay, un petit pays unitaire de 3,4 millions d’habitants. Le pot n’est légal, et encore à des degrés très variables, que dans certaines régions comme Amsterdam et une dizaine d’États américains. Le Canada représente un défi autrement plus complexe que l’Uruguay, avec sa population diversifiée, ses dix provinces et ses trois territoires.

Les Canadiens serviront donc de cobayes dans une expérience pour laquelle il n’existe aucun précédent, aucun modèle comparable.

« Exception québécoise »

Cela dit, l’ « exception québécoise », en matière de cannabis, a fait couler pas mal d’encre au Canada anglais. 

Le Globe and Mail, entre autres, s’en étonnait l’autre jour : comment la province de la « joie de vivre », le « quartier général de l’hédonisme au Canada », peut-elle rater le train de la révolution du pot ? Pourquoi les Québécois, si permissifs pour le mariage homosexuel ou la consommation d’alcool, sont-ils si conservateurs pour le cannabis ? 

De fait, on en consomme moins au Québec qu’ailleurs au Canada. L’on en sent rarement les effluves quand on se promène à Montréal, bien moins qu’à Vancouver ou à Toronto. Le Québec compte sept fois moins de producteurs autorisés de cannabis, et quinze fois moins de consommateurs sur ordonnance médicale, que l’Ontario. Selon CROP, seulement un Québécois sur dix (mais un sur six au Canada anglais) a consommé du pot l’an dernier. 

Enfin, les médecins québécois ont été particulièrement véhéments en informant la population sur les risques du cannabis pour la santé mentale des adolescents. 

Serait-ce le manque de familiarité avec la substance, qui rendrait l’idée de la légalisation plus inquiétante ? Ou, au contraire, y aurait-il ici une conscience plus aiguë et plus réaliste des dangers de la légalisation ? 

Et pourquoi la potion magique a-t-elle suscité moins d’engouement au Québec que dans le ROC ? J’ai ma petite hypothèse, elle est d’ordre culturel. 

Les Canadiens français sont en général plus expansifs, plus conviviaux et plus causeurs que les Canadiens anglais de culture protestante. Or, le pot est une substance inhibitrice, peu propice à la conversation. C’est un « downer », une drogue qui vous détend, mais vous amortit, contrairement à l’alcool qui est un « upper », un stimulant qui vous projette dans le monde extérieur. Le pot développe les sensations non verbales – l’ouïe, le toucher, peut-être l’imagination–, mais entrave le désir d’entrer en relation avec autrui par la conversation. 

Je garde des souvenirs très désagréables de ces partys où le pot circulait abondamment, jusqu’à plomber l’atmosphère. J’essayais de faire connaissance avec les invités assis à mes côtés (ou plutôt écrasés par terre)… mais à mes efforts pour engager la conversation, ne répondaient que des fous rires stupides, des regards vides ou des commentaires incohérents. Chacun était enfermé dans sa bulle, et je n’étais jamais assez stoned pour entrer dans le jeu. 

En ce qui concerne l’ « exception québécoise », mes propres observations, tout anecdotiques soient-elles, correspondent parfaitement aux conclusions du sondage Environics. 

Lors de séjours prolongés à Vancouver, j’ai souvent constaté que les professeurs d’université s’adonnaient au pot bien davantage que les profs d’université de Montréal : deux milieux très comparables dont les comportements différaient quant à l’usage du cannabis. 

Même constatation chez les journalistes de ma génération : les anglophones en fumaient bien plus que les francophones ; plusieurs avaient leur fournisseur attitré, tandis que la plupart des francophones n’auraient même pas su comment rouler un joint. 

Tous les journalistes de ma génération, anglos comme francos, buvaient beaucoup, mais chez les francophones, l’alcool était, de très loin, la drogue principale… pour le meilleur (des conversations plus animées) et pour le pire (plusieurs anciens collègues ont été détruits par l’alcool). 

Je me hasarderais à dire que la même différence existe entre la France et les pays de culture protestante, anglophones, allemands ou néerlandais. Je ne crois pas qu’il existe, en France, une « culture du pot », au sens où le cannabis ferait partie des mœurs d’une bonne partie de la classe moyenne. Serait-ce parce que les Français sont, comme leurs descendants québécois, « gens de parole et gens de causerie » ?

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