Première visite guidée du CHUM

Dans quelques mois, le CHUM sera livré au gouvernement. Notre chroniqueur François Cardinal a visité en exclusivité le plus grand hôpital francophone en Amérique du Nord et dresse un comparatif avec son pendant anglophone, le Centre universitaire de santé McGill.

Première visite guidée du CHUM

La revanche

des francos

Quel formidable revirement de situation ! Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, on ridiculisait le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et on se pâmait sur celui de McGill (CUSM).

Les francos étaient enlisés dans les chicanes pas possibles pendant que les anglos se construisaient un bel hôpital dans l’Ouest, dans les temps, dans les budgets…

Aujourd’hui, les anglos sont pris avec une horreur multicolore, flanquée d’un stationnement de béton qu’on devait enfouir six pieds sous terre, et marquée par les scandales.

Et les francos ? Ils mettent la touche finale à un hôpital qui doit être terminé cette année pour une ouverture l’an prochain. Un hôpital qui n’est peut-être pas sans défauts, mais qui a beaucoup de qualités architecturales, qui maximise son site urbain, qui se marie bien au centre de recherche voisin.

Bref, un hôpital qui a de toute évidence été pensé par des concepteurs… et non des constructeurs.

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En visitant le projet, c’est la première chose qui me frappe : mon guide est architecte. Il s’appelle Azad Chichmanian. Il travaille au sein de la firme NEUF architect(e)s. Il a conçu le projet avec Elizabeth Rack et Andrew King, de CannonDesign.

Je précise, car il y a deux ans, lorsque j’avais fait la visite du CUSM, on avait été incapable de me nommer un seul architecte ! Le projet avait été conçu par petits bouts un peu partout dans le monde sans qu’aucun concepteur n’en prenne la responsabilité… encore moins le crédit.

Rien de tout ça pour le CHUM, même si lui aussi a été fait en PPP, un sigle qui rime rarement avec beauté.

Bien que le site soit plus contraignant que celui du CUSM et que la quantité de salles d’opération soit plus élevée, les architectes ont relevé le défi avec brio.

Surtout quand on compare le résultat au « design de référence » qui était censé les guider : un hôpital massif, horizontal, linéaire, sorte de hangar géant qu’on souhaitait déposer au centre-ville.

« Nous avons plutôt choisi de bâtir un hôpital vertical, m’explique Azad Chichmanian. Cela permet de créer plus d’ouvertures, de réduire les distances à l’intérieur, en plus de laisser passer les ombres plus rapidement sur la ville. »

On a ainsi construit cinq édifices en hauteur dans lesquels, rappelons-le, on coincera tout de même trois hôpitaux ! C’est comme si on refaisait aujourd’hui la Place Ville Marie. Avec 40 étages supplémentaires !

Un petit miracle vu l’exigüité du site…

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Le résultat final est 100 fois plus harmonieux que le CUSM, mais il ne plaira pas à tout le monde. En fait, l’extérieur ne plaira pas à tout le monde.

Le CHUM est gros, il en impose, ce que l’enveloppe du bâtiment ne réussit pas tout à fait à adoucir. « Au niveau de la rue comme à partir du pont Jacques-Cartier, je ne peux m’empêcher de questionner l’opacité avec laquelle on a érigé cet ensemble lisse et sombre », observe le concepteur en architecture Francis Huneault.

Cela est évident quand on se trouve au pied de l’hôpital : on cherche l’entrée principale. On l’aurait imaginée sur René-Lévesque, comme les autres grandes institutions de la métropole (Hydro-Québec, Radio-Canada, etc.), mais elle a plutôt été aménagée sur Saint-Denis.

Cela dit, ces deux défauts sont en bonne partie compensés par l’utilisation judicieuse du cuivre, qui ajoute une touche de chaleur au mégacomplexe. « Ce matériau noble permet de souligner certains gestes architecturaux, de donner à l’ensemble une échelle humaine, mais surtout de signaler les entrées importantes », explique Azad Chichmanian.

On retrouvera ainsi un grand amphithéâtre de cuivre au cœur de l’entrée principale, une salle de recueillement suspendue le long de Saint-Denis ainsi qu’une superbe passerelle oblongue déjà installée au-dessus de la rue Sanguinet.

« La passerelle est magnifique ! s’enthousiasme Francis Huneault. Elle m’a dévié de mon parcours de marche habituel. Si l’auditorium est aussi réussi, il y aura de quoi se réjouir. »

Autant d’éléments riches qui font écho aux toits des églises, mais surtout à celui de l’hôtel de ville, tout neuf, qui s’oxydera en même temps que le cuivre du CHUM. Un clin d’œil au temps qui passe, à l’histoire, au contexte montréalais dans lequel vient s’ancrer l’hôpital.

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Quand on met le pied dans le bâtiment sombre, le contraste est saisissant : de la lumière naturelle partout !

« Les gens vont être surpris par la luminosité, me lance Azad Chichmanian. Nous-mêmes, nous avons été surpris par la luminosité à l’intérieur ! »

Que ce soit en longeant la rue Saint-Denis, en arpentant l’axe De la Gauchetière ou en sortant de n’importe quel des 77 ascenseurs, la transparence égaye l’expérience du visiteur en plus de lui permettre de s’orienter dans cet hôpital à la circulation intuitive.

Fait intéressant, NIP Paysage a ajouté sept jardins sur les terrasses extérieures, en hauteur, dont certains seront accessibles. Leur composition se révèlera au fur et à mesure qu’on monte dans l’édifice : les herbes forment des tableaux à grande échelle qui représentent autant de plantes médicinales indigènes, référence à l’herbier du frère Marie-Victorin.

Mon coup de cœur se trouve toutefois dans les 13 œuvres d’art qui ponctuent le complexe, la plus grande concentration d’œuvres depuis Expo 67 ! Contrairement au CUSM, qui s’est contenté de déposer des œuvres sur des socles, le CHUM a réellement intégré l’art à l’architecture, dès la conception.

On se retrouve ainsi avec cinq énormes montagnes imprimées dans le mur-rideau en verre du centre ambulatoire (à l’intérieur, l’image du collectif Doyon-Rivest se transforme en une mosaïque de mots). Ou encore, avec une œuvre sonore de Catherine Béchard et Sabin Hudon, intégrée au clocher Saint-Sauveur qu’on a réassemblé au coin Viger.

À l’intérieur, le visiteur sera accueilli par une ligne de lumière DEL, par exemple, œuvre de Nicolas Baier qui longera une balustrade de 180 mètres. Il profitera aussi d’une « œuvre processus » de Yann Pocreau, qui retracera l’histoire de cet énorme chantier.

Autant d’éléments qui réussissent à ramener le mégacomplexe à une échelle plus humaine, une échelle plus propice à la visite donc, mais aussi à la guérison.

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