Opinion Jocelyn Coulon

BREXIT Theresa May peut-elle réussir ?

Il y a quelque chose d’admirable chez Theresa May. La première ministre britannique vient une nouvelle fois de déjouer tous les pronostics négatifs.

Après le rejet de son plan sur le Brexit, mardi, on la disait finie. Elle a pourtant survécu mercredi à une motion de censure, et tout indique que ce répit pourrait lui donner une autre chance de renégocier avec l’Union européenne un meilleur accord de sortie.

Il faut dire qu’elle revient de loin. En juin 2016, au lendemain du référendum où les Britanniques votaient en faveur du Brexit, elle prenait les rênes d’un pays divisé et d’un Parti conservateur secoué par les luttes de pouvoir. On ne donnait pas cher de sa peau. Elle était perçue comme une quantité négligeable, une personnalité sans relief, une première ministre de transition.

Les événements à venir semblaient donner raison à ses détracteurs, mais c’était sans compter sur sa capacité à rebondir.

À l’été 2017, elle a déclenché des élections anticipées en espérant que les dérives gauchistes du Parti travailliste inciteraient les Britanniques à lui accorder un mandat majoritaire lui permettant de négocier le Brexit. L’excellente performance électorale des travaillistes a détruit cette chimère, et Theresa May n’a dû la survie de son gouvernement minoritaire qu’à un accord avec un petit parti radical nord-irlandais. Encore là, les aspirants à la direction du Parti conservateur lui donnaient six mois avant de démissionner. Elle les a surpris.

La négociation sur le Brexit lancée après l’élection n’a été qu’une succession d’obstacles et de crises politiques qui en aurait découragé plus d’un. Vingt et un ministres, dont deux responsables du Brexit, ont démissionné en deux ans, un record absolu même dans un pays où les ministres claquent souvent la porte. Et elle a subi la plus humiliante défaite d’un premier ministre depuis 1924 lorsque son projet de Brexit a été rejeté.

Enfin, au cours des derniers jours, elle a survécu à une motion de confiance de la part de son propre caucus conservateur et à une motion de censure de la Chambre des communes.

Malgré tout, Theresa May a fait preuve d’une ténacité remarquable. Elle a réussi à maintenir l’unité de son camp, à repousser les attaques des travaillistes et à négocier un accord avec ses 27 partenaires européens.

Elle est maintenant fin prête pour un autre round avec l’Union européenne visant à ajuster cet accord de 575 pages pourtant rejeté tant par les pro que les anti-Brexit. Elle pourrait bien réussir, car il semble y avoir chez les députés une majorité, certes mince, pour un Brexit soft où les liens avec le continent demeureront solides. Et Theresa May peut encore compter sur la France et l’Allemagne qui, depuis mardi, tendent des perches en direction de Londres.

L’identité britannique

Il lui reste cependant une épreuve à surmonter, et c’est sans doute ici qu’elle pourrait rencontrer un écueil difficile à éviter. Dans le fond, tout l’enjeu autour du Brexit ne porte pas sur la couleur de la margarine, la frontière entre les deux Irlandes ou le sort des expatriés au Royaume-Uni. Le véritable enjeu, celui qui a été au cœur du référendum et qui taraude les Britanniques, porte sur la souveraineté et l’identité du pays.

Pour les uns comme pour les autres, le Royaume-Uni est à un tournant de son histoire. La mentalité insulaire a fait la singularité des Britanniques. Elle a façonné un art de vivre et une place dans le système international. Ce monde a vécu, même les partisans du Brexit le reconnaissent.

Mais alors, comment s’insérer dans un monde nouveau, représenté par l’Union européenne, sans perdre son identité et sa souveraineté ?

Les partisans de l’Europe invitent les Britanniques à s’amarrer au navire européen, seul en mesure de créer une entité forte qui pourra assurer la prospérité à l’intérieur et l’influence à l’extérieur. Cela vaut bien quelques accrocs à la sacrosainte souveraineté, de toute façon passablement écornée dans un monde connecté.

Les partisans du Brexit s’opposent vigoureusement à cette vision de la place de leur pays en Europe comme dans le monde. Ils y voient un autre pas vers la dissolution de son identité et, surtout, une façon de réduire toute capacité du Royaume-Uni à déterminer ses choix et son avenir. Ils plaident pour une relation minimale avec l’Europe.

Ces conceptions du monde touchent ici au cœur de la texture qui fait une nation. Et quels que soient les arrangements techniques qui seront bientôt renégociés pour améliorer l’accord rejeté mardi, toute l’habileté politicienne de Theresa May ne pourra les réconcilier. Il faut choisir entre deux mondes, et les Britanniques semblent toujours aussi divisés.

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