SANTÉ Projet C

Il y aura des moments difficiles

Environ un Canadien sur deux aura un diagnostic de cancer au cours de sa vie. La journaliste Marie-Eve Morasse en a reçu un à 27 ans, puis a connu une récidive au début de 2018. Elle a coûté cher au système de santé, a gardé ses cheveux et a encore des traitements pour prévenir une récidive. Cette série part d’un désir de témoigner qu’il y a aussi beaucoup de vie dans la maladie.

Quelques semaines s’étaient écoulées depuis que j’avais reçu un diagnostic de cancer et je commençais tout juste ma formation d’oncologie en accéléré quand on m’a assigné le cours « Tomographie par émission de positrons 101 », mieux connu sous le nom de PET Scan.

À jeun depuis plusieurs heures, j’avais failli perdre patience quand quelqu’un avait mangé un sac de chips dans la salle d’attente, et ce n’est pas le grand verre de baryum qu’on m’avait fait boire juste avant l’examen qui avait arrangé les choses. Le liquide opaque était loin du café dont je rêvais depuis le matin, mais il avait son utilité.

Je me raisonnais : une heure dans la machine et ce serait terminé. Il y a des destins nettement plus tragiques que le mien, je n’allais pas m’apitoyer sur mon sort.

C’est la technicienne en radiologie qui m’a asséné le coup de grâce une fois l’examen terminé en pointant une chaise dans le coin du corridor, désert à cette heure tardive. Je devais attendre qu’un médecin confirme que les images étaient lisibles, après quoi je pourrais m’en aller.

Assise en jaquette bleue sur une chaise droite, avec pour seul rappel de ma vie normale mes espadrilles aux pieds, une question m’habitait. Mais qu’est-ce que je faisais là ?

Semblant sortir de nulle part, un chaleureux employé de l’entretien s’est enquis du déroulement de l’examen. Ça s’était bien passé, monsieur Paul, mais aujourd’hui, je peux vous le dire sans pleurer : cette journée-là, ça n’allait pas fort, fort.

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Les gens atteints de cancer ont plusieurs coups durs à encaisser. Et ils ont un impact certain sur leur santé mentale. Heureusement, il est de plus en plus reconnu qu’il faut s’en occuper, dit la psychologue Josée Savard, qui s’intéresse aux aspects psychologiques du cancer depuis une vingtaine d’années.

« Il y a beaucoup plus de services psychosociaux offerts maintenant qu’au moment où j’ai commencé. C’est une spécialisation de plus en plus reconnue. Maintenant, ça s’enseigne à l’université », dit cette professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval.

La période après le diagnostic de cancer et l’intervention chirurgicale qui suit bien souvent sont les premiers jalons à franchir pour les patients.

« C’est une période où il y a beaucoup de détresse psychologique, beaucoup de stress sur ce qui s’en vient. On a beaucoup de questions et on reçoit les réponses en plusieurs temps : il y a le diagnostic, la gravité, les traitements qu’on aura. Ça fait beaucoup d’incertitudes à gérer au départ », explique Josée Savard.

Les traitements et les effets secondaires qu’ils provoquent causent aussi de la détresse, mais c’est souvent moins grave que lors du diagnostic, ajoute la psychologue.

Une fois que tout a été fait pour tenir le cancer à distance d’un point de vue médical, la maladie n’est pas quelque chose qu’on met derrière soi aisément. Les mois se sont succédé au rythme des traitements, mais c’est précisément au moment où tout s’arrête qu’une inquiétude – et pas la moindre – surgit : il n’existe aucune garantie que le cancer ne reviendra pas.

« La peur de récidive touche presque 100 % des patients à différents degrés. Il y a une peur plus habituelle qui va se manifester dans les jours qui précèdent un examen de suivi et qui va s’amenuiser une fois que les résultats sont reçus et normaux. C’est ce qu’on pourrait considérer comme une peur de récidive plus normale. »

— Josée Savard

« Mais il y a des gens à l’autre bout du spectre qui vont avoir une peur de la récidive pendant plusieurs mois, voire des années, et de façon constante. La plupart des gens se retrouvent entre les deux », dit Josée Savard.

Si rien n’est fait pour l’endiguer, cette peur peut faire des ravages. Avec deux collègues du Centre hospitalier universitaire de Québec, Josée Savard a mis sur pied il y a quelques années un groupe de psychothérapie qui vise précisément la peur de la récidive.

Un programme de formation est en élaboration pour que des psychologues d’autres centres hospitaliers puissent l’offrir également. « Bientôt, les hôpitaux vont être mieux outillés pour faire face à cette problématique », explique la psychologue.

Outre le suivi professionnel, qu’est-ce qui peut faire du bien aux patients dont la santé psychologique vacille ? Josée Savard insiste sur une chose : il faut se « réengager dans la vie ». « C’est clairement quelque chose de bénéfique pour l’ensemble des patients », dit-elle.

Les traitements ont souvent laissé une fatigue certaine, mais les moments d’énergie devraient être consacrés dans la mesure du possible à autre chose que passer l’aspirateur, illustre-t-elle.

Malgré les incertitudes causées par le cancer, il ne faut surtout pas cesser d’avoir des projets, explique aussi la psychologue.

« Beaucoup vont se dire qu’étant donné qu’ils ne savent pas ce que l’avenir leur réserve, ils ne peuvent pas avoir des objectifs à long terme. C’est quelque chose de très déprimant au quotidien de ne pas avoir d’objectif de vie. Ce qu’on dit aux patients, c’est que c’est moins pire d’être déçu de ne pas avoir réalisé ses objectifs que de ne pas en avoir. Les projets, c’est ce qui nous donne une raison de vivre. »

La psychologue constate que le personnel médical a de plus en plus cette sensibilité. « J’entends rarement des médecins qui disent des choses avec lesquelles je suis en désaccord », dit-elle.

Elle se souvient néanmoins de l’histoire d’un patient traité pour une dépression et dont le pronostic était limité. Il avait enfin décidé de réaliser son rêve d’avoir une cabane à sucre, sans mettre sa situation financière en péril. « Quand il a raconté ça à son oncologue, il lui a dit : “On dirait que t’as pas compris ce que je t’ai dit, ton pronostic n’est vraiment pas bon.” »

De telles « énormités » sont devenues rares, dit Josée Savard. Elle en tient pour preuve une autre patiente. « Son oncologue lui a dit : “Ce serait plate que je t’aie sauvé la vie pour que tu la gâches ensuite.” »

C’est en plein dans l’esprit des interventions de la psychologue. « On essaie de faire en sortte que les gens prennent un peu de distance, qu’ils aient moins leur attention fixée sur le cancer », dit Josée Savard.

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Besoin de parler à quelqu’un ? Il existe plusieurs ressources pour les personnes atteintes de cancer. Certains centres hospitaliers québécois sont dotés d’un service d’oncologie psychosociale, et des cliniques privées se spécialisent aussi en psychologie de la santé. La Société canadienne du cancer et la Fondation québécoise du cancer offrent toutes deux des programmes gratuits de jumelage téléphonique et des groupes de soutien.

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