« C’est un moment historique »
Dans le nord de l’Irak, 5,5 millions de Kurdes sont appelés à se prononcer, le lundi 25 septembre, sur l’indépendance du Kurdistan. Très contesté, le référendum constituera néanmoins un moment d’une grande importance pour ce peuple sans pays, estime Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris. Entretien.
Oui, certainement. C’est la première fois dans leur histoire récente que les Kurdes ont la possibilité d’exprimer pacifiquement leurs aspirations dans une consultation démocratique. Cela soulève beaucoup d’enthousiasme non seulement chez les Kurdes d’Irak, mais dans l’ensemble du Kurdistan et dans la diaspora kurde. C’est un moment historique.
En 1925, la Société des Nations a consulté les citoyens pour savoir s’ils voulaient former un État indépendant ou être rattachés à l’État irakien que les Anglais venaient de créer. La population a massivement choisi un État indépendant, mais la Société des Nations, à la demande des Anglais, a tout de même annexé le territoire à l’Irak. Cela explique un siècle de malheurs, de destructions, de guerres, de massacres et de déportations.
Quand les alliés ont créé cette zone de sécurité, après la guerre du Golfe de 1991, le régime de Saddam Hussein n’a consenti à se retirer que de trois provinces qu’il jugeait économiquement peu intéressantes. Mais il a continué à occuper des territoires kurdes. […] Récemment, les Kurdes ont libéré ces territoires de l’occupation [du groupe armé État islamique]. L’armée irakienne s’était retirée sans combattre et les Kurdes ont payé un prix très fort pour cette libération. Un référendum donnera la légitimité démocratique pour intégrer ces territoires au Kurdistan.
La région est déjà chaotique. Entre la Syrie, l’Irak, le Yémen, le Kurdistan est un îlot de stabilité qui jouit d’une relative prospérité. Les Kurdes veulent conserver cela et ne pas être mêlés aux conflits qui déchirent les sunnites et chiites d’Irak.
Les États-Unis jugent que le moment est inopportun parce que la guerre contre [l’EI] n’est pas finie. […] L’Iran y est vivement opposé parce que cela va donner des idées aux 12 millions de Kurdes iraniens, mais surtout parce qu’un Kurdistan indépendant serait un pays allié des démocraties occidentales. Téhéran ne veut pas d’un bastion avancé de l’Occident collé à sa frontière.
Les Kurdes voudront obtenir un divorce à l’amiable. Il y aura des négociations avec Bagdad, avec un calendrier et une date limite. Ce sera une sorte de Brexit. Si les négociations aboutissent et que l’Irak reconnaît le Kurdistan, tant mieux. Toute la communauté internationale reconnaîtra alors le Kurdistan.
Je ne veux pas dire du mal des experts, mais je constate qu’ils se sont trompés dans beaucoup de conflits. L’objectif des Kurdes, c’est vraiment d’accéder à l’indépendance. […] Ils ne peuvent pas subir éternellement les conflits des autres. [La présence de l’État islamique] et d’Al-Qaïda, c’était en très grande partie en raison de la politique erronée du gouvernement de Bagdad vis-à-vis de la minorité arabe sunnite. Les Kurdes en ont subi les conséquences alors qu’ils n’y étaient pour rien.
On n’a pas choisi nos voisins. On ne peut pas déménager en Scandinavie, où il y aurait eu un référendum depuis longtemps. […] Dieu sait que notre région est très conflictuelle et que la culture démocratique y est très faible, mais il faut quand même, après tant de sacrifices, que les Kurdes accèdent à leur indépendance. En cela, la communauté internationale doit les aider pour jouer les médiateurs et empêcher que le sang ne soit versé. Le droit à l’autodétermination est inscrit dans la Charte des Nations unies et ce n’est pas un droit à géométrie variable. Le Kurdistan ne peut pas rester éternellement en dehors du concert des nations.