Budget Leitão Éditorial

Faire payer les médecins

Une partie du réinvestissement dans les établissements de santé viendra de sommes dégagées chez les médecins, prévoit le budget Leitão. Une manœuvre habile, mais dont le résultat est loin d’être garanti.

Jugeant que l’écart avec le reste du pays a été comblé, Québec veut rouvrir la dernière entente sur l’étalement de la rémunération. « Les établissements du réseau de la santé bénéficieront ainsi des investissements additionnels que je viens d’annoncer », a déclaré le ministre des Finances dans son discours du budget, mardi.

Les syndicats de médecins, évidemment, n’ont pas apprécié.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) trouve « navrant » que le gouvernement revienne sur sa signature à peine plus de deux ans après la conclusion de cette entente, en novembre 2014. La Fédération des médecins spécialistes du Québec, de son côté, se refuse à tout commentaire, indiquant qu’elle ne négocie pas sur la place publique.

Les deux syndicats, on s’en souvient, avaient accepté d’étaler le versement de sommes qui leur étaient dues jusqu’en 2022 pour aider le gouvernement Couilard à atteindre l’équilibre budgétaire.

Sauf que cet étalement, après avoir réduit les sommes dues aux médecins durant quelques années, les augmentera de façon importante à partir de l’année financière 2018-2019, a souligné le Vérificateur général. On y arrive.

Rattrapé encore une fois par ce rattrapage salarial, Québec affirme aujourd’hui que celui-ci a été complété et, donc, que les mesures destinées à l’atteindre ne se justifient plus. Les propositions du Conseil du trésor ne s’attaquent pas seulement à l’étalement, mais aussi à la fameuse « clause remorque », qui garantissait aux médecins les mêmes hausses qu’aux salariés de l’État.

On n’a pas les détails de l’offre gouvernementale, mais le résultat visé est ambitieux.

Après des augmentations de 7,6 % par an en moyenne depuis près de 10 ans, les médecins seraient ramenés à 5,9 % cette année et, surtout, plafonnés à 3 % par an les deux années suivantes.

Notez qu’on ne parle pas ici du revenu individuel, mais de l’enveloppe globale consacrée à l’ensemble des médecins qui facturent à la Régie de l’assurance maladie du Québec. La FMOQ, qui représente un peu moins de la moitié des effectifs, fait d’ailleurs valoir que ses médecins de famille sont loin d’avoir rejoint leurs confrères de l’Ontario, même en tenant compte du coût de la vie.

Qui dit vrai ? Demander à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) de mesurer le rattrapage, comme le propose Québec, est une excellente idée. Reste à voir si les parties s’entendront sur les éléments à prendre en considération. Ça n’empêchera pas le gouvernement d’aller de l’avant, mais s’il fait fi de critères légitimes des syndicats, il aura du mal à défendre les conclusions de son étude.

Les chiffres annoncés dans les documents budgétaires tiennent pour acquis que les syndicats de médecins feront les concessions demandées. Vu la dynamique des 10 dernières années, c’est un pari audacieux.

Plus de la moitié des fonds supplémentaires annoncés en santé pour les deux prochaines années sont destinés aux établissements du réseau. Or, une partie importante de cet argent doit venir de l’enveloppe du corps médical. Si celui-ci résiste, Québec ne pourra pas réinvestir autant que prévu. Cette équation pourrait aider le gouvernement à marquer des points contre les médecins dans l’opinion publique. Mais s’il ne réussit pas à les amener où il veut et se voit forcé de revoir ses annonces à la baisse dans son prochain budget préélectoral, ce ne sera pas très glorieux pour lui.

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