Un bibliothécaire sourd au service de sa communauté

Marc-André Bernier est le premier – et le seul – bibliothécaire sourd du Québec. Embauché par la bibliothèque Le Prévost en juillet 2013, il a pour mandat de donner des services aux usagers sourds. « Il s’agit de construire des ponts entre la communauté sourde et la bibliothèque », explique-t-il en langue des signes québécoise (LSQ), traduite efficacement par Paul Bourcier, interprète.

Ça marche : plus de 535 personnes sourdes ou malentendantes – dont 240 jeunes – ont fait appel à M. Bernier en 2015. « Avant son arrivée, on voyait peut-être une personne sourde par mois, témoigne Andréane Leclerc, chef de section à la bibliothèque Le Prévost, située dans Villeray, à Montréal. On savait pourtant qu’il y avait une importante communauté sourde dans le quartier. »

Aujourd’hui transformée en condos, l’Institution des sourds-muets, à proximité du parc Jarry, a longtemps attiré les sourds dans Villeray. Une présence qui se maintient, puisque l’école primaire Gadbois, située dans le même quartier, offre un enseignement bilingue (LSQ et français) aux enfants sourds. Des jeunes qui peuvent ensuite fréquenter le secteur des sourds de l’école secondaire Lucien-Pagé, toujours à proximité.

À L’ENTREVUE, SANS PRÉVENIR

Fonceur, M. Bernier s’est présenté à l’entretien d’embauche de la bibliothèque Le Prévost… sans prévenir qu’il n’entendait pas. Titulaire d’une maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information de McGill, le jeune homme avait pris soin d’être accompagné d’un interprète, même s’il s’en passe quotidiennement au boulot – ses collègues communiquent avec lui par courriel. Sa future patronne a été convaincue qu’il était le bibliothécaire qu’il lui fallait.

« La technologie aide les sourds – j’utilise beaucoup les courriels et les textos. Les caméras sur les tablettes et les téléphones sont intéressantes pour communiquer en langue des signes à distance. Mais il reste des barrières pour avoir accès aux services. »

— Marc-André Bernier

Même s’il ne travaille que deux ou trois jours par semaine en raison du budget serré de la bibliothèque, M. Bernier joue son rôle de médiateur. Bel exemple : une conférence sur la rédaction d’un testament, donnée par le Centre de justice de proximité du Grand Montréal, aura lieu à sa bibliothèque le 17 mars, à 10 h 30. Sa particularité ? Elle sera donnée en LSQ, en plus d’être prononcée en français.

Même chose pour l’heure du conte, présentée avec un interprète pour les familles sourdes. « L’inclusion, c’est d’accepter qu’une personne différente intègre la collectivité, en adaptant les services offerts », souligne M. Bernier.

PEU IMPORTE LE REGARD DES AUTRES

Le jeune sourd n’a pas observé de réactions désagréables depuis qu’il a son bureau au milieu des rayons de la bibliothèque. « Dans la vie en général, il y a des préjugés liés à l’ignorance, reconnaît-il. La présence des sourds dans la collectivité fait évoluer les perceptions. »

Des gens le croient parfois peu éduqué, alors qu’il est quadrilingue (LSQ, français, anglais et langue des signes américaine, employée au Canada anglais et aux États-Unis) et cumule les diplômes – il s’est d’ailleurs lancé dans un certificat en droit.

« Je suis sourd de naissance, témoigne le jeune homme. Quand on est petit, on développe une carapace et une estime de soi. Peu importe si les gens nous regardent de travers. »

Le projet d’adaptation à la communauté sourde de la bibliothèque Le Prévost a reçu le prix Innovation 2014 du Congrès des milieux documentaires du Québec et le prix Ovation de l’Union des municipalités du Québec en 2015.

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