L'incroyable famille Trump

Ivana aux commandes de l'empire

Toujours prête à partir à l’abordage, même en stilettos. Lorsqu’il rencontre Ivana Zelnickova, en 1976, le magnat de l’immobilier new-yorkais trouve dans l’ex-skieuse tchèque une femme à sa (dé)mesure. La top ne se contente pas de jouer les faire-valoir pulpeux et de lui donner trois enfants. Durant les « eighties », l’extravagante Ivana prend une part active aux affaires florissantes de son mari. Une collaboration qui va coûter cher à « The Donald ».

Décembre 1977, veille de jour de l’an. Dans une maternité d’un hôpital de Manhattan, des jeunes parents comblés contemplent leur nouveau-né. Ils discutent de son prénom. Ivana, soucieuse de la tradition américaine et du symbole dynastique, pense qu’un premier fils doit porter le nom de son père. Face à cette proposition, Donald Trump, saisi d’un doute, se redresse sur sa chaise et s’exclame : « Oui, mais si c’était un loser ? » Les Trump pratiquent l’évangile de la réussite. La pire chose qui pourrait arriver à cette famille serait d’être dirigée par un « loser », un perdant, un raté... Aux premières heures de la nouvelle année, Ivana aura gain de cause. Donald Trump Junior sera l’aîné d’une troisième génération de conquérants.

En cette fin des années 1970, à 31 ans, Donald Trump a renoncé à sa vie de célibataire pour les jolis yeux d’Ivana, un mannequin venu de l’Est. Le beau gosse aux mèches encore blondes, à l’ego démesuré, qui jouait les playboys dans les clubs pour se faire voir, a déjà rénové son premier hôtel sur la 42Rue et s’est approprié une parcelle de terrain sur la 5Avenue, qu’il destine à devenir l’emblème de sa réussite. Ce bâtisseur en herbe compte réussir là où son père a échoué : conquérir Manhattan.

Ses costumes sont un peu ringards. Son style, trop plouc, de l’avis des banquiers de Wall Street. Il roule dans une Cadillac couleur argent aux vitres teintées et aux plaques d’immatriculation personnalisées « DJT ». Son chauffeur est un ancien flic du NYPD. Les journaux et magazines locaux ont déjà révélé l’existence de ce trublion venu du Queens. Lui veut d’emblée la reconnaissance du grand public : « Le New York Times a écrit que je ressemblais à Robert Redford », se réjouit-il.

La beauté blonde

C’est dans un restaurant de Manhattan, le Maxwell’s Plum, le genre d’endroit où les hôtesses de l’air espèrent rencontrer un banquier et les mannequins un petit ami, que Donald a flashé sur une beauté blonde, Ivana Zelnickova, un mannequin employé dans une agence de Montréal. Gentleman, il lui a permis de ne pas faire la queue. Il a fait passer Ivana et son amie devant tout le monde, mais en échange du droit de s’asseoir à leur table. Le lendemain, il lui fait porter des roses. Elle joue l’indifférente : « J’avais 27 ans et, depuis l’âge de 14 ans, j’avais été draguée par un nombre incalculable d’hommes », dira-t-elle. Qu’importe, elle consent à prendre son prétendant au téléphone. Quelques mois plus tard, ils sont fiancés. La jeune femme, à la volonté et au tempérament de fer, aussi compétitive que son futur mari, paraît à la hauteur du défi qui l’attend : partager le fulgurant destin de Donald Trump.

L’ancienne slalomeuse se plaît à raconter ses premières descentes à ski avec cet homme. Elle lui avait fait croire qu’elle était une débutante, comme lui, puis l’avait humilié en le dépassant et en dévalant les pistes à grande vitesse. Le lendemain, blessé dans son amour-propre, Donald refusa de rechausser ses skis.

Contrairement à lui, Ivana n’a rien d’une héritière. Elle n’a pas commencé sa carrière avec un prêt de 1 million de dollars de son père. Cette fille unique est née en 1949, en Tchécoslovaquie, du mauvais côté du rideau de fer, dans une famille catholique, aimante, très modeste, qui refuse le joug du parti communiste. Les Zelnicek ne seront jamais des apparatchiks. Leur seule option pour survivre est de garder la tête basse et de travailler. « Il fallait être la meilleure », écrit Ivana dans son autobiographie, Raising Trump (Élever les Trump), « car le moindre faux pas pouvait vous gâcher la vie ».

À l’adolescente, la compétition à ski permet de sortir du pays. L’Ouest, la liberté et la consommation la passionnent. Un petit ami l’a mise en contact avec un skieur du Tyrol qui accepte de l’épouser pour lui permettre de voyager librement avec un passeport autrichien. À chaque retour au pays, elle fait l’objet d’interrogatoires. Mais elle a appris à rapporter des cadeaux aux petites amies des policiers. Face à eux, elle garde un visage impassible. Après le décès de son compagnon dans un accident de voiture, Ivana se réfugie chez son oncle et sa tante, à Toronto, où elle est vite repérée par une agence de mannequins. William Morris lui offre son premier contrat.

Malgré son déracinement, Ivana a l’esprit de famille rivé au corps. « Sous la dictature, on ne pouvait faire confiance à personne en dehors de sa famille », dira-t-elle. Cette conviction profonde, elle la partage avec Donald Trump, l’héritier qui n’accorde sa confiance qu’au premier cercle et ne gère ses dossiers qu’avec les siens. « Mon partenaire dans les affaires et dans la vie avait la même ambition que moi », écrira plus tard Ivana. Elle est tombée enceinte lors de leur lune de miel. Pour la jeune immigrée à l’accent marqué, l’entrée dans la famille Trump a été une épreuve. Fred, l’austère père de Donald, s’offusque que sa belle-fille refuse de commander un steak lors du brunch dominical. C’est une rupture avec la tradition familiale. Le patriarche n’apprécie pas non plus ses tenues colorées trop moulantes, jugées provocantes. Lors d’une soirée, Ivana porte une robe très habillée, rehaussée d’une encolure qui dissimule son décolleté. Ravi, son beau-père la complimente. « J’ai tourné le dos et il a découvert que la robe avait un large dos nu qui descendait très bas jusqu’à mon string », se souvient Ivana dans son livre autoportrait.

L'art de la négociation

Six mois après leur première rencontre, Donald et Ivana sont mariés le jour de Pâques par un certain Norman Vincent Peale, pasteur chrétien et gourou de la « pensée positive ». Parmi les 600 invités conviés à la fête, elle n’en connaît pas plus de six. Trois semaines auparavant, la négociation autour de l’existence d’un contrat de mariage rédigé par Roy Cohn, l’avocat retors de Trump, a failli faire exploser le couple. « Tu dois signer ce document ! » ordonne Donald à Ivana. « De quoi s’agit-il ? demande Ivana. Nous n’avons pas ce genre de chose en Tchécoslovaquie. » « C’est juste un papier pour protéger l’argent de ma famille », poursuit Donald.

Humiliée à l’idée qu’en cas de divorce elle ait à rendre tous les bijoux offerts, sans aucune indemnité en contrepartie, Ivana claque la porte. Elle a accepté d’abandonner sa carrière de mannequin pour se mettre au service de la Trump Organization. Cela a un prix qu’elle négocie bec et ongles. Donald finit par céder. Il débloque une enveloppe de 100 000 $US. Deux ans plus tard, Ivana renégocie. La somme est portée à 150 000 $US. À la sixième renégociation du contrat, en 1987, elle obtiendra la promesse de 10 millions US en cas de divorce ! Dans le couple Trump, « l’art du deal » n’est pas le monopole de Donald. « Si vous n’êtes pas la meilleure, à quoi cela sert-il de vivre ? » répète Ivana depuis son adolescence.

En cette fin des années 1980, une frénésie de célébrité et d’argent injecté s’est emparée de New York. Des fortunes boursières se sont accumulées en un éclair. Le krach de 1987 a précipité quelques courtiers par la fenêtre, pourtant l’époque proclame encore et toujours l’appât du gain et les vertus de l’ambition débridée. Les top models sont les nouvelles icônes des magazines. Mais c’est le couple Trump, narcissique et flamboyant à souhait, qui, quelques pages plus loin, célèbre la décennie de la cupidité. Cet environnement, qui fait d’« il n’y a pas de règles » la règle, est idéal pour le funambule Donald.

Son ascension vertigineuse est symbolisée par la Trump Tower, qui s’élève dans le ciel de Manhattan. On le sacre milliardaire. Trump est aux anges. Il a trouvé sa reine. Ivana, la « First Trump Lady », comme elle continue de se surnommer aujourd’hui, incarne à merveille la marque Trump. Elle est vive, dominante, superficielle, sans scrupules, parfaitement en phase avec les tabloïds new-yorkais. Elle semble invulnérable, brille sous les flashs et les projecteurs. Comme son mari, elle n’hésite pas à dire ce qu’elle pense. Sans filtre, quitte à prendre quelques libertés avec la réalité.

Après la restauration de l’hôtel Commodore, Trump a confié à son épouse la décoration de leur triplex de 1000 mètres carrés au sommet de sa tour. Un ascenseur privé relie l’appartement au bureau de Donald, au 26e étage. Les sols sont en onyx beige, les dorures omniprésentes, les commodes en marbre et marqueterie. « C’est ainsi que Louis XVI aurait vécu s’il avait eu de l’argent », commente la jeune femme, sûre de son goût.

Une phrase d’un avocat citée par la journaliste Marie Brenner dans un portrait du couple pour Vanity Fair en 1990 résume à elle seule le labyrinthe dans lequel le futur président évolue depuis ses débuts. « Donald croit à la théorie du grand mensonge, explique le juriste. Si vous répétez les choses encore et encore, les gens vous croiront. » À quel moment son épouse a-t-elle succombé à la théorie du grand mensonge qui, dans les années 1980, sous-tend la réussite de son mari ? À son ouverture au public, en février 1983, la Trump Tower est un immeuble de 58 étages mais, au grand dam de l’architecte en chef, le promoteur présente son bijou architectural comme un gratte-ciel de 68 étages. Avant l’inauguration, la rumeur a couru que le prince Charles et la princesse Diana y avaient acquis un pied-à-terre. L’information était fausse, mais elle a considérablement favorisé la promotion. Puis Trump a expliqué que la vente ne s’était pas matérialisée.

L’année Trump

1988 est l’année Trump. Au Trump Plaza, nom de ce même casino, 600 kilos de homards et de filets mignons sont servis à un parterre de VIP en préambule du match de boxe opposant Tyson à Spinks. Donald et Ivana, entourés de Bruce Willis, Elizabeth Taylor et Mohamed Ali, ont pris place à côté de Jesse Jackson, candidat à la présidentielle. La chaîne câblée TNT annonce la mise en production d’un long-métrage sur la vie de l’homme d’affaires. « Pour mon rôle, je veux un très bel acteur », confie Trump au New York Post. Ivana est la première femme à diriger un casino. « Son salaire ? Un dollar par mois et toutes les robes qu’elle désire », plaisante-t-il.

Tandis que sa femme travaille d’arrache-pied pour l’entreprise, lui est pris d’une frénésie compulsive d’achats. Placardé en lettres d’or, son nom est partout. En quelques mois, il acquiert deux nouveaux établissements de jeu, le yacht de Khashoggi, rebaptisé Trump Princess, l’hôtel Plaza, une compagnie aérienne qu’il nomme Trump Air. Puis il achèvera la construction du plus grand casino du monde, son rêve, le Taj Mahal d’Atlantic City. Les banques se bousculent pour lui prêter de l’argent. L’endettement massif s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars. Donald, ivre de succès, construit son empire à crédit. La réalité des chiffres est inquiétante. Mais la légende qu’il raconte dans les médias est plus forte. L’animateur de télé David Letterman lui demande : « Pourriez-vous faire faillite ? » Dans le studio, les spectateurs éclatent de rire tant la question semble saugrenue.

Depuis des années, Ivana a étudié le mode de vie des familles royales européennes. Ses amis savent que son mari et elle aiment se réinventer en permanence. Ils lui font remarquer avec humour qu’elle semble gagnée par le « syndrome du couple impérial ». Après avoir conquis New York, le couple, toujours en quête de reconnaissance, débarque en Floride afin de se mesurer aux vieilles fortunes de Palm Beach. Ils ont acquis ensemble le palais rococo construit en 1927 pour l’héritière des céréales Post, Marjorie Merriweather Post. À seulement quelques kilomètres de La Guerida, la résidence d’hiver des Kennedy, Mar-a-Lago a été construite avec des pierres taillées en Toscane. Le marbre noir du grand salon provient d’un palais de La Havane. Cette demeure princière est l’idée d’Ivana, qui vit son fantasme royal. « Je ne veux pas de toutes ces mondanités », l’a prévenue Donald. Il faudra songer à allonger le quai sur le canal intercostal à l’extrémité de la propriété, trop court pour accueillir le Trump Princess.

Dans l’immense salle à manger, les époux trônent désormais chacun à l’une des extrémités d’une grande table Sheraton. C’est un immense honneur d’être convié à la table du roi et de la reine. Chaque fin de semaine, quand le Boeing 727 de Trump se pose à Palm Beach, deux limousines attendent sur le tarmac. La première, une Rolls-Royce pour le couple ; la seconde, un van pour les enfants, leurs nounous et un garde du corps. Il arrive que des véhicules de police escortent le cortège Trump jusqu’à l’entrée de Mar-a-Lago. Donald et Ivana savourent ensemble leur gloire. Dans des interviews à la télévision, le milliardaire offre au gouvernement ses services pour négocier avec les Russes. On murmure qu’il pourrait se présenter à la présidentielle. Ivana, de son côté, a acquis une telle notoriété qu’elle propose au préalable à ses intervieweurs un dossier de presse contenant ses meilleures citations.

Depuis des années, Donald surfe sur une conjoncture florissante. Hypnotisé par sa boulimie d’achats, le roi du deal ne voit pas arriver l’orage de 1989-1990. Le marché de l’immobilier s’est retourné. La valeur des constructions plonge. Trump croule sous une dette de 3 milliards US, dont 900 millions US garantis personnellement sur sa fortune. En une décennie, endetté à outrance, il est devenu le Brésil de Manhattan.

« L’autre femme »

Son Taj Mahal n’éclipsera pas Las Vegas. Un an à peine après l’ouverture, le casino au coût phénoménal de 1 milliard US se déclare en faillite. Les créanciers saisissent son yacht, sa compagnie aérienne et l’hôtel Plaza. Pour couronner le tout, c’est aussi le moment où les tabloïds publient à mots couverts les premiers entrefilets sur sa liaison avec une starlette blonde à la silhouette parfaite. On l’a entendue ordonner dans une boutique de la Trump Tower : « Mettez ça sur le compte de Donald. » Pour draguer cette ancienne Miss Géorgie, Trump envoie des coupures de presse élogieuses sur lui. Marla, la « trophy woman », fait voler en éclats 14 années de mariage, même si, selon toute vraisemblance, le couple Donald et Ivana battait de l’aile depuis plusieurs mois.

Marla, « l’autre femme » devient le personnage d’un feuilleton à rebondissements qui passionne l’Amérique. Les journaux, auprès desquels le milliardaire tente de faire passer son adultère pour l’œuvre virile d’un don Juan, prennent fait et cause pour Ivana, l’épouse trompée, sacrée héroïne des tabloïds. « Elle est désormais une déesse des médias à égalité avec la princesse Diana, Madonna et Elizabeth Taylor », résume l’échotière Liz Smith. Emergeant d’un lifting en Californie qui la rend méconnaissable même pour ses amis, Ivana réclame, par le biais de ses avocats, la moitié des actifs. Elle obtient la garde des enfants. Le divorce fait exploser la famille. Donald Jr ne parlera pas à son père pendant un an. Les prêts personnels, octroyés par son paternel et son frère, et la rigueur de sa comptabilité sauvent Trump de la ruine personnelle.

Seul, menacé de faillite et interdit de séjour dans l’appartement familial, il s’isole à un étage inférieur de la Trump Tower. Allongé sur son lit, fixant le plafond, il passe ses journées au téléphone, se fait livrer des hamburgers du deli voisin. Il prend de l’embonpoint. Ses cheveux descendent dans son cou. Cité par la journaliste Marie Brenner, un ami lui confie : « Tu me fais penser à Howard Hughes. » « Merci, répond-il, c’est quelqu’un que j’admire. » Au téléphone avec les banquiers, les fonds d’investissement et les médias, le tycoon assiégé, menacé, au bord du gouffre, continue à afficher une confiance à toute épreuve. Pour faire diversion, il écrit Survivre au sommet, un autre chef-d’œuvre de la pensée positive.

Trump sort miraculeusement de la crise. Quelle n’est pas ma surprise de le retrouver pour une interview, quelques semaines plus tard, plus battant que jamais. Donald a retiré son alliance. Même si Marla est dans le paysage, il se considère presque comme un célibataire en disponibilité. Il parle de son divorce et des 25 millions US qu’il a dû verser à Ivana en pleine crise, ainsi que des dizaines de lettres d’amour d’admiratrices qui parviennent à son bureau. Quelques mois plus tard, au bord de sa piscine de Mar-a-Lago, posant fièrement avec Marla qui a définitivement remplacé Ivana dans son cœur, affichant son come-back, il me confie : « Quand on réussit une deuxième fois, ce n’est plus de la chance mais une performance. »

Donald a rebondi et Ivana n’a jamais sombré. Ils sont insubmersibles. Obsédée par son identité de gagnante, la femme humiliée a gardé la tête haute. Tandis que son mari se débattait entre sa dette et son divorce, elle poursuivait méticuleusement l’éducation de ses enfants. Ils sont sa fierté. Les femmes qui lui ont succédé ne la dérangent pas. Elle a surnommé Marla la « show girl » et n’aimerait « pas être aujourd’hui dans les Louboutin de Melania ». Elle s’est consolée dans les bras de boy-friends italiens bien plus jeunes qu’elle. « Je préfère jouer les baby-sitters plutôt que les gardes-malades », écrit-elle.

Selon les termes du divorce, elle doit demander l’autorisation à son ex-époux avant de faire la moindre déclaration sur leurs années communes. Discrète, prenant soin de ne pas écorcher l’image de Donald, Ivana sous-entend qu’elle demeure une conseillère secrète du 45président des États-Unis. Elle est convaincue que sa fille, Ivanka, sera un jour présidente. La guerre des Trump s’est finalement soldée par une paix des braves.

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