Télévision

Menace sur la série lourde

Les idéateurs et comédiens de 19-2, Claude Legault et Réal Bossé, craignent de voir disparaître les séries à gros budget, dites lourdes, de nos petits écrans. Discussion sur le sujet en marge du visionnement de presse de la troisième saison.

Claude Legault : La mort de la série lourde, ce serait terrible au Québec. Et je trouve que la série lourde est en danger. Elle est vraiment en danger. Parce que les coupures sont drastiques, sévères. 

Est-ce qu’il y a eu une diminution du budget au fil des saisons de 19-2 ?

Réal Bossé : On est quand même chanceux. Je pense que nous sommes une des dernières séries lourdes. À moins qu’il y ait un changement, qu’il y ait une volonté.

C. L. : On est probablement, pour une période en tout cas, dans les dernières ou la dernière série lourde.

R. B. : Nous parlons ici de véritables séries lourdes. Celles qui coûtent cher et où nous avons 65 jours de tournage pour 10 épisodes. Même si, en fait, ce n’est pas beaucoup…

Mais il y en a qui vous diraient que vous êtes chanceux.

C. L. : Il faut faire attention à ce genre de discours qui vient mêler les affaires. Parce que là, on nous dit : “Vous êtes chanceux d’avoir 900 000 $ [NDLR : par épisode] pour faire une série comme ça.” Et dans 2-3 ans, ce sera : “Vous êtes chanceux d’avoir 700 000 $.” Et ensuite : “Vous êtes chanceux d’avoir 500 000 $.” Un jour : “Vous êtes chanceux d’être payés.” Tu comprends ce que je veux dire ?

R. B. : Pour garder les téléspectateurs, il faut accoter des séries comme Breaking Bad ou House of Cards. Mais ça, ce sont de grandes séries avec quelques millions de dollars par épisode.

C. L. : Sérieusement, des séries comme 19-2, l’argent est à l’écran. On a des bons budgets, Radio-Canada a mis le maximum de ce qu’il pouvait là-dedans. Et tu le vois, l’argent, à l’écran. Parce que ce qui est difficile avec les coupures, c’est que bientôt des sujets ne seront plus possibles. Par exemple pour une intervention policière, la production pourrait demander pour sauver de l’argent d’avoir juste un char de police. Mais on ne peut pas, parce que ce n’est pas crédible. Il faut 3-4 chars. En ce moment, on y arrive encore, mais parce qu’on fait des miracles. Et la qualité de 19-2, c’est que tout a l’air vrai. 19-2, ça va bien vieillir, parce que ce n’est pas low budget.

R. B. : Lance et compte, la première année, ils tournaient en 35 mm. C’était quelque chose, on inventait ! Ça fait quoi, 25-30 ans ? Et depuis, on voit une réduction inexorable des budgets. Donc, c’est sûr que pour nous, les créateurs, on se questionne et on se demande s’il va falloir tourner ça avec des iPhone maintenant. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est juste de se dire qu’il n’y a plus d’argent pour faire ce type de séries-là.

Il faut quand même un minimum de moyens pour en faire ?

R. B. : On a du talent au Québec. En danse, théâtre, cinéma, cirque, musique. On a un imaginaire hallucinant. Ce qui fait qu’on peut pratiquement faire une série lourde avec une couche et deux épingles ! On peut donc toujours compter là-dessus, sur le fait que nous sommes débrouillards, pour s’en sortir, pour présenter à l’écran une série qui a l’air d’avoir le double du budget qu’il a. Mais on finit par épuiser notre monde. 

C. L. : Pis si toi, tu essaies de t’obstiner là-dessus, de parler des coupes de budget, tu as l’air d’un maudit parvenu. Donc, tu ne peux pas t’obstiner. Et on laisse les budgets se faire couper.

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