OPINION

Penser la Constitution

Le document Québécois, notre façon d’être Canadiens, récemment publié par le Parti libéral du Québec et dont l’objet est de présenter la raison d'être, les fondements et les modes de réalisation d'« une politique d’affirmation » du Québec à l’intérieur du Canada, n’a eu l’heur de plaire ni au premier ministre Trudeau ni aux différents chefs des partis de l’opposition au Québec.

Pourquoi est-il si difficile de parler de Constitution de manière constructive, et sans se faire dire que la Constitution écrite est impossible à modifier de toute façon ? Deux explications, parmi d’autres, sont possibles.

Premièrement, un grand nombre de politiciens et de citoyens associent aujourd’hui la Constitution au texte écrit des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982. Tout ce qui n’est pas écrit dans ces lois est présumé n’avoir aucune importance constitutionnelle. Les tentatives ratées de modifier le texte écrit de la Constitution à l’époque des accords du lac Meech (1987) et de Charlottetown (1992) ont aussi contribué à nourrir l’idée que, sans modification de la lettre de notre Constitution, celle-ci était immuable.

Deuxièmement, depuis une trentaine d’années, la politique dite de la « reconnaissance » s’est imposée. Faute de voir leur différence explicitement reconnue dans le texte de la Constitution, des Québécois, des autochtones, des femmes, des gais et lesbiennes, etc. se sentent exclus du système fédéral canadien, et ce, même si d’autres normes, moins prestigieuses, mais tout aussi efficaces, reconnaissent leur différence.

Notre Constitution ne s’est jamais résumée au texte écrit de notre loi fondamentale.

Elle n’a jamais été un document exhaustif ayant toute la précision d’une loi fiscale.

Le droit constitutionnel vise l’ensemble des normes qui régissent les rapports entre les citoyens et l’État (pensons aux droits de la personne) ou entre les institutions étatiques elles-mêmes (pensons, entre autres, au partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement). Or la Constitution écrite n’est qu’une facette de cet ensemble de normes.

La plupart des normes constitutionnelles fondamentales de notre système trouvent assise ailleurs que dans le texte écrit de la Constitution (par exemple, dans les décisions des tribunaux, les ententes intergouvernementales, les conventions de nature politique, les lois, etc.). Bien sûr, ces normes n’ont pas tout le prestige que possède le texte écrit de notre Constitution et elles peuvent être modifiées plus aisément. Mais elles constituent malgré tout le principal moteur de notre fédération.

Le caractère distinct du Québec

Ainsi, il est vrai que la clause désignant le Québec comme une « société distincte » n’a jamais été introduite dans la Constitution écrite canadienne. Mais la Cour suprême du Canada a bel et bien pris acte du caractère distinct du Québec dans certaines décisions très importantes. Or cette reconnaissance de la spécificité québécoise est de nature juridique et constitutionnelle.

Bref, en se bouchant les oreilles dès qu’il n’est pas question d’une modification du texte écrit de la Constitution, on risque de condamner comme sans importance certaines modifications juridiques qui permettent de réajuster les rapports de force entre les autorités gouvernementales et les citoyens, ou entre les diverses autorités gouvernementales. Modifications qui, une fois adoptées, deviennent politiquement impossibles à modifier.

Il est vrai que la dimension symbolique d’une reconnaissance, dans le texte de la Constitution, du caractère distinct de la société québécoise serait très importante, car, ce faisant, le Canada anglais se trouverait alors à reconnaître formellement la différence québécoise. Mon intention n’est pas de minimiser l’impact d’une telle reconnaissance.

Mon point est simplement de souligner qu’on se trouverait alors à constater dans la Constitution ce dont les tribunaux ont déjà pris acte. À ce titre, on pourrait également transférer dans le texte constitutionnel le contenu des ententes administratives asymétriques conclues par le Québec en matière de santé, d’immigration, de main-d’œuvre, de congés parentaux et à propos de l’UNESCO. Cela aurait bien sûr l’avantage de les protéger contre une modification unilatérale, mais ça n’en changerait pas le contenu.

Enfin, on peut se demander pourquoi la Cour suprême a reconnu la spécificité du Québec. Ou encore, pourquoi des ententes asymétriques ont été signées avec le Québec, mais pas avec les autres provinces. C’est parce que la dynamique sociale et politique importe plus que les mots.

En lui-même, un texte constitutionnel ne peut produire de réalité sociale.

Si le Québec n’était pas, dans les faits, la société distincte et dynamique qu’elle est, les tribunaux n’auraient jamais pris acte de sa spécificité et le Québec n’aurait pas été en mesure de signer les ententes asymétriques mentionnées plus haut.

Il importe de rappeler qu’une Constitution n’est pas avant tout une affaire de mots, mais le reflet de ce qu’est une société donnée et de ce que la population et ses représentants entendent bâtir comme communauté politique. Malgré toute l’importance des mots, c’est la vigilance et la vitalité des Québécois qui garantissent, mieux que ne peut le faire un texte constitutionnel, le caractère distinct de notre communauté politique à l’intérieur de la fédération canadienne.

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